Page:Rachilde - À mort, 1886.djvu/133

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elle trouvait le jeu très amusant. Maintenant que ce sauvage s’approchait, elle reculerait peu à peu. Un jour, même, elle finirait par le prier tout doucement de ne plus revenir… Ah ! il se moquait de la petite pensionnaire Berthe, de ses robes, de ses cheveux blonds… Et comme on lui envierait dans le monde la conquête de cet homme spirituel !

— Nous disions, Madame, continua le comte de Bryon feuilletant un livre, que vous devez lire les poètes amers pour vous détacher des choses sensuelles et vous faire une idée de tous les plaisirs délicats.

« Quand vous serez devenue la fervente des auteurs ici présents, vous ne serez plus la fervente de vous même que nous admirons dans le costume d’une bayadère ou sous cette jupe de velours. Chaque matin, en vous levant, prenez, Madame, quelques poésies vagues teintées d’aurore. Par ces temps gris, vous sentirez vos veines s’emplir de soleil. Réservez les proses scientifiques et philosophiques pour l’après déjeuner, heure de force à laquelle des réactions sont nécessaires. Pour le soir, à la lueur d’une lampe voilée d’un globe dépoli, abordez franchement les romans anciens et nouveaux ; répétez-vous souvent, au milieu de vos lectures, que rien n’est réel, que tout peut le devenir, et que l’imagination de l’auteur vient à bout de tout en la compagnie d’une jolie femme. Tenez, je vous prépare les doses. Ces six volumes pour le matin, je corne les pages, les trois autres pour l’après-midi, et ces vingt pour le soir