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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/127

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la moustache sobre ; sa bouche se fronçait aux deux extrémités en un pli de mécontentement qui lui donnait un aspect de raillerie dédaigneuse, mais il était charmant quand il souriait. Laure l’aimait surtout parce que, d’instinct, elle le devinait son contraste absolu et qu’elle rêvait d’une conquête. Elle serait le maître, lui l’élève. Débaucher son mari pour en faire un amant lui procurerait la plus exquise des félicités humaines.

Puis elle cessa de raisonner ; au bout de quelques semaines d’une cour pourtant bien banale, où le guindé camélia blanc remplaçait les déclarations brûlantes, elle aima comme une folle, dans un tourbillon de désirs contradictoires. Tantôt elle voulait lui avouer son passé, tantôt elle oubliait qu’elle n’était pas vierge, se sentait des candeurs de petite fille qui s’effraie d’un monsieur. Et elle avait de superbes élans, des immolations d’une minute où elle foulait son cœur sous ses pieds, se jurait d’entrer en religion prier pour lui. Elle finissait par imaginer un Dieu à travers l’homme, et se dépouillait de ses anciennes cruautés. Elle pleurait des nuits entières devant sa photographie, — qu’elle ne mettait pas sous son traversin de crainte de la souiller. Elle s’attendrissait à propos de choses inutiles, dans lesquelles sa passion se mirait faute d’un meilleur et plus ardent miroir : sur la mort d’un insecte qu’elle venait d’écraser, sur la fin d’une fleur se fanant au fond d’un vase ; et des larmes lui montaient aux yeux en contem-