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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/16

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cieusement comme une reine malade au milieu d’une immobile cour de chimères.

Le bruit léger d’un pas de bête lui fit tout à coup dresser le front. Au-dessus d’elle, venant du plafond, on percevait un trottinement de pieds de velours. Leur chambre, un ancien atelier de photographe, vitré du côté du levant, possédait un plafond de verre dépoli enchâssé dans des losanges de plomb. Très épais, ce verre ne laissait fuser qu’une lumière douteuse durant la journée, mais les nuits de lune, en été, une sorte de phosphorescence s’irradiait de ces losanges, semblant alors se découper dans une neige verte, ou un nuage de grêle prêt à crever sur la terre en ruisseaux d’étranges liqueurs opalines. À midi ce plafond ne rappelait rien que de très ordinaire, et le vitrage du levant, caché par des stores de soie jaune, faisait penser tout de suite à la pose traditionnelle de la mariée pour carte album ; mais à minuit, quand les stores baissés, les lampes éteintes, la chambre se feutrait d’une obscurité d’étoffe, ce plafond prenait des allures un peu redoutables.

Ce petit appartement de photographe situé au sixième n’avait pas de grenier, le plafond était le toit, et on s’était abstenu de le grillager. Sur cette toiture unie, on pouvait, à la saison, entendre sautiller les moineaux, les hirondelles. La moindre pluie taisait des ravages d’averse, et les dernières gouttes se défilant donnaient des notes d’harmonica qui vous coulaient au cerveau des mélancolies exquises.