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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/207

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Paris d’un voile et auréolant les sommets d’édifices d’un nimbe de brumes où rayonnaient des flèches rouges. De ci, de là, sous des pans d’ombres funèbres, s’ouvraient les brasiers infernaux des grands boulevards, filtraient les jets d’argent des globes électriques, et la forêt des cheminées de tôle, ces arbres noirs d’un éternel hiver, luisait, par instants, d’un reflet vif quand la lune se perchait, en passant, sur leur cime. Laure se redressa, fit le tour de son domaine, se pencha et n’eut pas le vertige. L’idée lui vint d’enjamber la petite balustrade pour aller visiter les toitures voisines. Du côté de la rue de Seine, un précipice béant se creusait : elle s’éloigna du bord des gouttières, et rampa du côté des cours où elle apercevait des fenêtres de mansarde.

— Je puis bien me casser la tête, se dit-elle, Henri ne m’attend plus !

Et, en murmurant cette phrase amère, elle déchirait son peignoir aux crochets de couvreur qu’elle rencontrait sur sa route.

Une seule mansarde s’éclairait, se piquait d’un point rose de petite lampe agonisante derrière un rideau. Laure eut l’âpre curiosité de savoir ce que contenait la mansarde : femme de chambre se déshabillant ou garçon de magasin cirant ses souliers, elle s’amuserait à les espionner derrière ce croisillon lumineux, et comme la fée des ombres elle ricanerait au bon moment pour leur causer d’horribles peurs.