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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/287

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une simple grue, on la saisirait, tout de suite par sa lourde queue de cheveux qui lui battait la croupe et qui semblait bien plus hardie que n’importe quel décolletage. Elle aurait voulu prendre un fiacre, mais elle gardait pieusement ses cinquante sous, toute sa fortune, pour les éventualités de la nuit. Arrivée boulevard des Italiens, elle entra dans le premier café venu, ayant la peur enfantine d’un agent de police imaginaire et commettant avec sérénité une grosse infraction aux lois qui régissent la société des filles. Elle ignorait que certains cafés fussent défendus aux consommateurs de son espèce. Un garçon, au lieu de la servir, se pencha, la dévisageant :

— Vous demandez quelqu’un ?

— Non, je ne connais personne, je venais pour… m’asseoir.

La voix expira entre ses dents serrées.

— Vous blaguez, dit le garçon fronçant les narines dans une grimace de dégoût qui voulait être aimable, on ne fait pas la terrasse chez nous.

Laure eut un mouvement de colère, la pensée lui vint de prendre une de ces tables de bois ciré et de la lancer sur le crâne chauve de ce domestique, et elle se recula, se sentit, l’espace d’une seconde, si abandonnée, si misérable, qu’elle eût voulu mourir.

— Soit ! fit-elle très hautaine, mais vous vous trompez.

Elle répondit cela d’un ton tellement convaincu,