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Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/289

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jour !… À se promener dans la fièvre des boulevards, par ce temps mou, dégageant des odeurs violentes de tous les magasins de parfumerie et de tous les éventaires de fleurs, elle fut fouettée de violents désirs ; à se frôler aux mâles sortant des restaurants-fournaises, le cigare à la bouche, comme étant eux-mêmes une braise commençant à rougeoyer, aux filles élégantes toutes énervées, les unes par des convoitises de toilettes, les autres par de récentes luxures, elle prit un appétit sauvage. Pourquoi n’y aurait-il pas une gloire à combattre ce combat pour la faim ? Et les louves et les lionnes ne sont pas déshonorées parce qu’elles veulent manger de l’homme !

En face de l’Américain, elle se rappela une phrase d’Henri Alban qui prétendait, autrefois, que ce café ne devenait plus abordable à une heure du matin, et vit qu’il était assez tard pour y pénétrer, attendre le moment. Résolument, car elle se sentait défaillir, la bouche distendue par une envie drôle de bâiller tout haut, n’ayant pas dîné, elle demanda une menthe. Derrière elle, dans l’embrasure d’une verrière multicolore et reliant deux colonnes de faux marbres, une banquette était par hasard inoccupée. Cette place, mi-obscure, mi-éclairée, lui plut, et peut-être les miroitements du vitrail l’attirèrent. Elle se blottit toute tremblante, craignant un nouveau refus, l’œil farouche. Le garçon, d’un geste indifférent, poussa une table, versa la menthe et s’en alla. Plus rassurée, main-