Page:Rachilde - L’Hôtel du grand veneur, 1922.djvu/35

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Julien prit des bocks. Céline implora de l’eau fraîche et, comme cette eau était fade, écœurante, elle s’en bassina les yeux. Elle serrait autour d’elle son manteau léger de soie beige, dissimulant le plus qu’elle pouvait cette robe de noce, heureusement courte, qui lui faisait l’effet maintenant d’une malédiction, pendant que le malheureux Julien, luttant contre des bâillements nerveux, songeait, un peu tard, qu’il aurait dû se renseigner et qu’un portefeuille bien garni ne mène plus à rien de sérieux un jeune Français lorsqu’il arrive dans une ville remplie jusqu’aux bords de ses vaisseaux marchands d’Anglais, d’Américains et de troupes de couleur.

Julien Gravier avait pourtant fait la guerre comme tout le monde, mais il l’avait subie et point comprise. Il ne s’était ni révolté, ni passionné. Il avait réparé des autos-camions sous des fléchettes d’avions allemands, et il avait pensé : « Ça doit être des réclames pour un nouveau crayon ! » Ces cauchemars-là, bombes en chapelet, explosifs à retardement et gaz empoisonnés, lui avaient semblé des farces, de grosses farces de journalistes. Tant qu’on n’en crevait pas, ça restait ridicule… et