Page:Rachilde - L’Hôtel du grand veneur, 1922.djvu/53

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Elle ne le regardait pas. Elle contemplait l’homme dans la glace. Et l’homme, qui écoutait, était encore plus pâle que la jeune fille. Alors, Julien déploya une carte de la contrée sur la table de marbre en remuant le sorbet à la framboise devenu un étrange liquide strié de sang et cria, presque solennel :

— Écoutez ça, Linette chérie. Nous traversons une forêt admirable : la forêt de Rouvray, où vous avez peur du loup, sinon de votre mari. Nous tournons à cet endroit qu’on appelle : les Essarts

À cet instant le garçon apporta l’apéritif et l’addition. Il y eut une discussion âpre sur les chiffres. Le monsieur d’en face put se lever, parut tout entier reflété par le miroir, dans une buée bleuâtre qui ressemblait à la fumée d’un incendie. Il salua Céline, en se découvrant comme pour s’éponger le front de son mouchoir. (Il faisait tellement chaud dans ce café !) Et il remit impérieusement son index sur sa bouche. C’était à la fois un baiser et un ordre donnés : « Il faut vous taire, vous laisser conduire où vous devez aller. Adieu ! »

Céline se sentit mourir. Il partait, il s’effaçait de cette glace comme se dilue le reflet