Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/30

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bruit des verres se heurtant. À cause de la malade, le colonel Barbe louait une maison avec jardin, mais cette fois il avait eu la chance de trouver, à deux pas de son quartier, une place magnifique, la rase campagne et surtout la vue d’un cimetière dont les arbres lui semblaient une perspective charmante. Aussi sa femme ne voulait-elle plus sortir depuis qu’ils étaient en garnison à Clermont, prétextant que la vue de ces enterrements se déroulant devant leur porte lui causait des cauchemars affreux. De là de fréquentes querelles dans le ménage. La maison était vaste, bien aérée, son jardin se terminait par un bosquet de noisetiers ayant pour fond perdu la clôture même du cimetière toute recouverte de branches de saules et de lierre aux feuillages gras. Le désespoir quotidien de Madame Barbe était de ne pouvoir aller dans ce bosquet de crainte d’y rencontrer quelques os de mort. Et le colonel, qu’un os de mort trouvé dans son potage n’aurait pas fait sourciller, se répandait en récriminations sur la mièvrerie des femmes nerveuses.

La cousine Tulotte haussait les épaules : « À la guerre comme à la guerre ! » D’ailleurs, on ne savait jamais de quelle manière on serait campé le lendemain. Les régiments sautaient d’un bout de la France à l’autre sur un simple caprice du ministre. On restait dix-huit mois ici, un an là-bas et on ne connaissait ni son préfet, ni son épicier.

La cousine Tulotte, sœur du colonel, s’appelait Juliette dont son frère avait fait Juliotte, et Mary