Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/32

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pétit… On court, on saute, on franchit des fossés, on cueille des cerises !… Ne dirait-on pas que le jardin est rempli de croix noires semées de larmes blanches !

Et d’un accent obstinément plaintif, la voix de Caroline répondait :

— Non… tu peux me tuer… je n’y descendrai pas… il y a du lierre sur le mur du fond, je vois ce lierre dans tous mes rêves… il y a des morts jusque sous les racines du cerisier… je t’assure que je sens leur odeur de ma chambre. Je préfère demeurer chez moi, tranquille. D’abord, est-ce que j’ai faim !… La cuisine de cette fille est devenue détestable. Tu ne vois rien, toi ; d’ailleurs, tu verrais que tu laisserais faire. Estelle est bien portante ; oh ! les femmes bien portantes ont toujours raison.

— Allons !… voilà les folies qui recommencent. Caroline, tu abuses de ta position de malade… Juliotte a parbleu le nez fin, elle prétend que tu t’écoutes. Je ne choisis pas mes garnisons, je vais où l’on m’envoie… et si la cuisinière te déplaît, mets-la dehors… ce sera la huitième depuis que nous sommes mariés… Tiens ! tu ferais mieux de prendre mon bras et de descendre au jardin, les morts ont peur de mes pantalons, faut croire, car je n’en ai jamais rencontré dans les allées !

Caroline, sans répondre à l’invitation de son mari, murmura :

— Ils lui font la cour tous les deux, je l’ai vu, oui, tous les deux, Sylvain et Pierre… tes chevaux