Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/53

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que n’aurait pas reniées un acteur. Pagosson et Steinel fouillaient sans relâche la boîte aux cigares. Le comte de Mérod, seul près d’une croisée ouverte, s’absorbait dans la contemplation de sa chevalière, une merveille de gravure.

Minuit sonnait ; Mademoiselle Tulotte, réveillée d’un somme ébauché à l’ombre d’un écran, regardait la pendule. Le colonel s’arrêtait court au milieu d’un geste oratoire, et subitement ces messieurs prenaient congé comme un seul homme, descendaient l’escalier en évitant de faire sonner leurs éperons, puis s’éloignaient à travers la place du cimetière.

— Ce sont de braves cœurs !… disait le colonel Barbe qui avait une pointe.

— Ah ! il faudrait les réunir plus souvent, ils ne voient pas assez leur chef, il vaut mieux se faire aimer que se faire craindre ! répondait Tulotte, fronçant les sourcils.

Et le lendemain, le colonel Barbe, ayant perdu sa pointe, les punissait de nouveau, bougonnant au sujet du poil du régiment, lequel poil le ferait remarquer un beau jour par le ministre de la guerre.

Le colonel Barbe avait, après ces soirées de parades, l’ennui lourd de son ménage gâté, de la maladie irrémédiable et des sentiments de sa femme. Il ne savait plus pourquoi il commandait ce régiment inutile et pourquoi il devait courir de département en département, toute la France, sur l’ordre