Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/57

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Au jardin, après les danses, une surprise attendait les petites filles : on avait fait venir des champs un troupeau de vrais agneaux qu’on était en train de garnir de rubans. Pour les petits garçons, il y avait des chevaux de bois équipés en guerre, avec des roulettes sous les pieds. Le général d’Apreville, plus apoplectique qu’à l’ordinaire, allait du salon à la terrasse, se frottant les mains, embrassant les fillettes de douze ans dans le cou, pinçant au hasard les jeunes mères, répétant :

— Un génie, ma fille, un vrai génie… Elle ne me laisse rien à faire… et elle sait dépenser comme une femme !

En effet, mademoiselle d’Apreville n’y regardait pas.

Mary, tout étourdie, se tenait au seuil du salon, penchant de côté sa figure de brune pâle d’où les yeux semblaient jaillir comme deux étoiles.

— Oh ! l’amour !… s’écria Jane, lâchant le collégien avec qui elle valsait pour s’emparer de Mary.

Jane était une grande jeune fille, svelte, blonde, très jolie, mais fanée par ses hardiesses de soldat en maraude.

Elle appela son cousin Yves de Sainte-Luce, le collégien, qui vint en ajustant son monocle.

— Tiens ! fit-il d’un ton connaisseur, pas mal la petite du colonel… ça promet !

— Un peu maigre ! riposta Jane d’une jalousie féroce, et pas encore assez femme pour dédaigner une enfant de sept ans.