Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/58

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— Je trouve qu’elle a des yeux, voilà… déclara nettement le collégien assez homme, lui, de par le récent duvet de ses lèvres, pour avoir le droit d’imposer sa volonté.

Jane d’Apreville laissa glisser à terre Mary qu’elle avait soulevée.

— Hein ? des yeux bleus… mais. Georges, tu disais que tu n’aimais pas les yeux bleus !

Et ses prunelles brunes jetaient des flammes.

Georges saisit le bras de Mary et la conduisit au buffet sans répondre.

Désormais, la petite du colonel avait une ennemie.

Après les rondes, les colins-maillards, Mary, fatiguée, descendit au jardin pour voir les moutons. Elle en choisit un taché de noir qui était tout drôle et bien enrubanné. Les petites filles se précipitèrent sur les autres, pendant que les petits garçons tâtaient leurs chevaux inanimés.

Il y eut une scène indescriptible. Chacun voulait un animal vivant. On en vint aux claques. Le jardin fut transformé en champ de bataille, le général tonnait du haut de la terrasse avec l’état-major des mères. Jane se multipliait, se tordant de rire et excitant les combattants. Yves de Sainte-Luce, le seul grand de la bande, les mains derrière son dos, s’écriait : scha ! pille ! pille ! comme pour une meute.

Les moutons, affolés, trottaient dans les plates-bandes en bêlant d’une façon lamentable, et les