Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/83

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lier ! dit-elle prise au dépourvu par cette exquise bonne foi et elle lui augmenta son bail annuel de cinquante francs, puis elle le pria de se rasseoir avec une très grande cérémonie.

Le colonel salua jusqu’à terre, imitant un officier de la Régence, dont il avait un portrait dans son cabinet.

— Monsieur le colonel, commença la dévote lissant ses bandeaux de ses deux mitaines, je dois vous avouer que je fais peu de cas de la vieillerie qui vous cause ce transport. Moi j’ai des principes très arrêtés sur ces choses d’un autre temps : je les conserve parce qu’elles ont appartenu à ma famille, mais je les ai en horreur. Mon salon a été purgé de toutes les inconvenances qu’il recelait. Les statues, les peintures, les draperies à personnages et les lits sculptés ont déménagé du premier au rez-de-chaussée, car mes yeux ne sauraient, sans indignation, regarder ces manifestations dégoûtantes des faiblesses et des impudeurs humaines. Dieu merci, j’ai été élevée par des parents sévères, mon père était un juge du plus grand mérite, il est mort en odeur de sainteté ; quant à ma mère, elle fut dame patronnesse de Dôle jusqu’à son entrée aux Veuves pénitentes, un couvent de Besançon.

Tenez, Monsieur, je serai franche et rigide avec vous, vous méritez qu’on s’occupe un peu de votre salut… Au lieu de laisser vos meubles se pourrir dans les caisses, sous le hangar, demandez-moi une chambre de débarras pour y cacher les miens