Page:Rachilde - La Tour d’amour, 1916.djvu/89

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Par la lucarne de ma chambre de guette, une vitre ovale, très épaisse, garnie d’un filet d’acier, on apercevait la grande mer mouvante qui roulait à vous tourner l’estomac. On avait l’air en ballon, tous les points d’appui vous manquaient à la fois. On était suspendu sur le vide qui se creusait, se creusait comme pour mieux vous engloutir, et le sacré vertige montait, vous serrait la gorge, vous chavirait des pieds à la tête. On ne marchait pas, on tournait avec la mer, et, quand le vent soulevait l’eau à des hauteurs prodigieuses, il semblait soulever aussi le phare ; on le sentait vibrer du haut en bas, il se balançait, il saluait, il valsait… jamais navire en perdition n’avait exécuté de danse pareille. C’était la danse éternelle, le supplice de ceux qui ont trop voyagé à fond de cale. Maintenant on restait immobile, mais la cervelle s’embarquait, bondissait, se perdait à travers des espaces inconnus… la course à la folie…

Je regardais l’immensité, tout angoissé de tristesse. Là-bas, vers les Basses froides, un