Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/182

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m’en fiche ! Tu sais très bien de quoi il retourne. (Paul se versa le reste du champagne d’un geste machinal. Il espérait une question, des nerfs. Elle se tut, méprisante. On aurait juré qu’elle n’entendait plus.) Ce que je te reproche, ce n’est pas ce crime, si tu l’as commis, car il me flatte : je veux bien qu’on assassine des gens pour moi, c’est très byzance !… Je te reproche de m’avoir brouillé avec mon frère, comprends-tu ? Mon frère, mon seul amour en cette sale société où on ne peut pas avoir d’ami. (Le beau bras nu, sur le domino myosotis, eut un repliement de couleuvre.) Tu ne répondras pas ? Mais tu montreras ton bras, je connais la ficelle. Ton bras, il est très beau, c’est ta gloire, une gloire nationale ! Des généraux se sont couchés dessus. Je l’ai en horreur ! Et puis, tu sais, je ne suis pas gris, je le tuerai ton nouveau matou, je te le tuerai ! Il me dégoûte, ce polichinelle. Enfin, oui ou non, m’as-tu aimé ? Voyons ! est-ce qu’on embête un Monsieur de dix-neuf ans, quand on l’aime, pour des histoires de patriotisme ? C’est honteux ! Tu ne penses qu’aux conseils de révision, toi, aux chambres closes, remplies de garçons, où l’on pèse la chair fraîche ! Espèce d’hypocrite. (Un éclair de lucidité lui revenant, Paul sursauta.) Tu me fais raconter des choses ignobles ! J’ai l’âme pourrie, gâchée par toi, et ça crève !… Songe donc ! J’avais seize ans quand tu t’es offert ma peau ! Ton souvenir me reste à la gorge comme le souvenir de mon premier cigare. L’étoffe d’une crapule, soit ! Mais ce que tu as brodé dessus ! Oh ! là, là ! Vieille femme ! vieille dame ! vieil astre qui est devenu si pâle qu’il en donne encore de la