Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/188

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voix tremblante, c’est pas naturel, ce sommeil-là ! C’est une machination ! Vous savez, j’ai pas confiance.

— Ne me touchez pas, sale sorcier, ou je vous jette ces pastilles à la figure ! cria la seconde éperdue.

Reutler les regardait fixement, fort calme, le sourire apitoyé. En deux bonds — deux fleurs de pommiers se détachant de la branche sous un vent du nord — elles franchirent le balcon de la loge et disparurent dans le flot.

— Bon voyage, les étoiles filantes ! murmura Reutler en allumant un cigare.

L’autre dormait, l’air heureux, une de ses menottes tenant encore un morceau d’orange glacée ; Reutler la contempla.

— Seize ans ! soupira-t-il. Pauvre mignonne ! Des vilaines cernures autour des yeux, et là, près du cœur, sans doute une petite fibre prête à se briser. Pas solide, l’objet d’art. Pas bien artistique non plus. Aux lumières, on ne s’aperçoit pas qu’elle est verte. Les genoux sont cagneux, les chevilles trop développées, pas de race. Encore la poupée du bazar à treize ! Pouah !…

Il étendit son manteau sur elle pour qu’elle n’eût pas froid.

Paul entrait d’un pas lourd, la toilette ravagée, les yeux mi-clos. Il avait retrouvé sa loge, très par hasard, d’instinct.

— Ouf ! Je n’ai pas envie de souper, mais j’ai joliment soif. (Il s’affala au milieu du sofa où la robe d’or mit une vague lumière dans la pénombre.) Il y a un Monsieur qui me suit depuis le buf-