Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/296

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Reutler perdit la tête. Il le saisit à pleins bras et l’emporta jusqu’au salon.

Sortant de la lumière, ils pénétrèrent dans une profonde obscurité, se sentirent soudain très effrayés d’eux-mêmes, oubliant les petits hommes grotesques qui montaient de la vie ordinaire.

— Mon grand, dit Paul la voix tremblante, j’ai très peur de mourir sans m’en douter. Avant que je meure, il faut renvoyer cette fille. Elle m’inquiète.

— Quelle fille ? Je n’y suis plus, mon pauvre Éric. Tu as le délire ?

— La servante : Machine… j’ai oublié son nom.

— Cesse ce jeu, il est absurde. Nous ne pouvons pas faire le bien à moitié, nous, les monstres. Nous n’avons plus le droit de juger les crimes des autres… ce serait lâche.

— Reutler, je suis lâche parce que cela me plaît. Si tu t’imagines que je n’oserai pas la faire souffrir… tu te trompes.

Les sons de flûte se rapprochaient. Il écoutèrent un instant, horrifiés tous les deux par cette irruption de la réalité dans l’ombre de leurs âmes.

— Enfin, quels sont ces gens-là ? dit Reutler s’exaspérant.

— Une députation du village qui vient nous remercier. Je le devine rien qu’à la tension de mes nerfs ! On va nous féliciter de nos courages réciproques… et nous sommes tous les deux tremblant ici comme des poltrons. (Éric éclata de rire furieusement.) Ils y ont mis le temps, hein ? Une chose spirituelle que cette députation ! Allons, payons encore de nos personnes et tâchons d’étein-