Page:Rachilde - Les Hors nature, 1897.djvu/315

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Elle se sauva tout émue.

— Pauvre petite, murmura Reutler la suivant des yeux. Combien de temps pourra-t-elle rester sa sœur ?

Et il reprit sa promenade en cercle. Que pourrait-elle deviner de cette situation anormale ? Est-ce que ce cerveau trouble ne s’éclairerait pas brusquement à la lueur de l’incendie de l’amour ?

— Elle m’aime, moi, c’est absurde !

Le temps était lourd, on avait recouvert la serre, clos les vitrages de la terrasse et l’âme des roses s’exhalait plus intensément brûlante ; le grand hercule prisonnier se grisait de ce parfum en tournant dans le cercle magique de sa passion. Reutler avait toujours vécu de la présence de son frère, mais il le voyait moins en le voyant trop. Maintenant, la chimère grandissait, débordait de son cœur sur ses sens, elle emplissait son cerveau et l’espace, elle noyait le soleil et la fameuse vision de l’honneur — autre chimère ! Seul, son orgueil demeurait immuable. Il n’aurait pas fait un pas vers lui, vers ce lit soyeux où dormait, humiliée profondément, l’effrontée princesse de Byzance !

— Non ! je ne m’abaisserai point jusqu’à demander pardon. J’ai agi justement. Quand les petits garçons se mutinent, on les fouette ! J’ai eu tort de frapper si fort… pourtant…

Et il revivait ce moment horrible, il avait encore dans l’oreille le son mat du bois sur les chairs, sa voix douloureusement poignante, répétant ce mot navrant, toujours le même : « Tu vas m’abîmer, m’abîmer !… »

Et puis la sensation effroyable, quand la canne