Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/170

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Il était resté debout devant elle, embarrassé de ses phrases qu’elle lui lançait, toutes chaudes, avec une crânerie moqueuse.

— Alors vous voudriez que je trahisse ma femme ?

— De grand cœur… pour pouvoir la consoler. J’ai tant d’amour, moi, dans la poitrine, qu’il me faut un but affectueux, une occasion de dévouement pour ne pas mourir d’ennui et d’exaspération. Je n’ai jamais aimé les hommes, ils sont si bêtes et si brutaux. Mon mari m’en a dégoûté pour le reste de ma vie. On m’avait fait épouser un vieux tout plein d’idées baroques, je fus complaisante, m’imaginant que la complaisance était un des principaux devoirs conjugaux et… mon cher ami mourut au bout de quelques semaines de lune de miel. Il me légua de solides rentes, plus une éducation légère, une de ces éducations qui se commencent au couvent mais qu’on ne termine bien qu’avec un vieux mari… malgré tout ce que j’ai entendu dire aux philosophes de ce siècle. J’ai parcouru, veuve et très libre, les différents mondes parisiens, puis, un beau matin je me suis réveillée véritablement artiste… (ici Mme Désambres s’arrêta pour pouffer de rire). Vous ne savez pas, vous, homme, le demi-quart de ce que je sais… quel malheur ! Tenez, énumérons, musique (et elle touchait du doigt la lyre de Sapho), peinture (elle montrait une nymphe de Henner se détachant toute blanche des tentures sombres), sculpture (elle souleva une main de plâtre qu’elle avait moulée elle-même), littérature (elle se frappa le cerveau de son index), je peux faire ce que je veux. Il me semble qu’avec une argile humaine de bonne composi-