Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/172

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imbécile que les autres dans sa suave quiétude ? Elle eut un méchant rictus.

« Allons ! je crois que nous nous en débarrasserons facilement. »

Louis Bartau rentra pour être témoin d’une effroyable scène. M. Tranet avait failli mettre le feu au magasin des bois neufs. Depuis un mois, le père Tranet perfectionnait une colle forte. En général, les colles fortes que l’on achète ont une odeur désagréable, et souvent elles ne collent pas du tout. Tranet voulait faire un onguent parfumé avec addition de cire vierge, au lieu de gélatine de poisson : une innovation merveilleuse. Quand il aurait expérimenté la chose, il demanderait le traditionnel brevet, il chercherait un commanditaire et on ouvrirait un débit dans le magasin même des douves de chênes. En attendant, il avait organisé un fourneau derrière des tas de souches qu’on ne remuait jamais, il brûlait les plus proches pour fondre ses matières, et il étageait celles du dessus pour se faire un rempart contre les curiosités des voisins. Le feu s’était déclaré dans les souches du dessus, impossible de le nier, car les flammes avaient jeté tout de suite une clarté sinistre. Les voisins étaient venus avec des arrosoirs, on parlait d’appeler les pompiers, le charcutier répétait qu’on allait piller sa boutique pendant son absence, Marie, la bonne, s’arrachait les cheveux… Une catastrophe, enfin !

— Misérable ! vous êtes la honte de la maison, et vous serez cause de notre ruine ! hurlait maman Bartau sous le mûrier, lequel dépouillé de ses feuilles avait l’aspect hérissé d’un gigantesque balai en colère. Le père Tranet, assis sur un des tonneaux qu’on mettait dans les coins