Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/224

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doté, logé, nourri, et qui, pour ces générosités, ne demandez point un vil salaire. Soyez bénie, madame. En effet, citoyenne, qu’est-ce que j’étais quand je suis tombé à Tours comme un caillou tombe de la lune ? un paria, un failli, un chien ! Martyr de la société moderne, j’avais été chassé par des ennemis sans foi ni loi, et je ne possédais, nom d’un rabot ! qu’une chemise rapiécée. Il faut que j’explique à ces braves gens la position du plébéien sans le sou, — laissez-moi donc, madame Tranet, c’est un exemple que je veux donner aux copains… Je suis un incompris de la grande classe des déclassés. Citoyens, des journalistes me l’ont dit et je le crois, car je me sens quelque chose là ! J’étais né pour vivre à mon aise, d’abord parce que tous les hommes doivent naître pour cet emploi, ou il n’y a plus de justice, sacré tonnerre ! Il ne faut pas rire quand on prétend que l’homme est sujet aux fainéantises. La fainéantise, c’est un état… mais cet état n’est excusable que lorsqu’on a des plans de batailles à mûrir ou des inventions à perfectionner. Je suis un innovateur. J’ai voulu me faire un nom dans les arts industriels… j’y ai réussi. Ce que j’apporte en dot à ma femme c’est, à part le fruit de mes économies, les grandes inventions que j’ai perfectionnées : le tonneau de luxe !… le ciel de lit lumineux !… une colle forte d’une solidité merveilleuse, la gloire de l’industrie française, une colle forte parfumée !… Voilà ce que je suis, citoyens, un homme vaillant, un frère, un piocheur de la pensée. Seulement, ils ne m’ont pas secondé, là-bas, dans la Capitale et tous les ennemis que j’avais se sont coalisés contre mon patri-