Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/225

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moine amassé avec tant de sueurs et de fatigues. Et ces chenapans, messieurs, ces gredins de la haute, ont boulotté ma galette en me fourrant à la porte de mon magasin de chaises, comme un voleur. (La chute était lourde, Tranet comprit qu’il n’avait plus qu’à s’emballer pour effacer le mauvais effet de cette péroraison. Il retroussa ses manches.) Oui, comme un voleur ! et tant qu’il y aura des aristos, ce sera ainsi, mes pauvres copains, tant que Grévy dirigera notre gouvernement, nous serons dans la dèche, nous serons obligés d’inventer sans boire ni manger. Ni vin, ni froment, c’est le mot d’ordre des classes dirigeantes !… j’entends qu’on cause de pétrole, mais cré nom d’un million de noms ! est-ce que le pétrole ne vaut pas mieux que la fuschine qu’ils nous foutent dans nos jus de raisins, les gens de la haute classe ?… (Louis se tordait. Marcelle Désambres passait ses doigts nerveux dans la chevelure blonde de Louise pour garder une contenance souriante.) Ah ! Citoyens, il faut qu’en ce jour solennel où nous sommes tous réunis pour boire à ma santé, n’est-ce pas ? il faut que vous me juriez de vous réunir avec le même empressement autour de moi le jour qui verra la grande expiation, le balayage des marchands de vin flibustiers, la guillotinade en flotte de tous les richards accapareurs : je serai votre chef. Oui, je m’en sens digne et nous irons loin… car je ne céderai pas… En attendant, messieurs, mesdames, groupons-nous, serrons-nous les coudes. Ma maison sera le lieu de rendez-vous, où il y aura toujours la goutte pour l’ouvrier dans la débine, un morceau de pain pour le mendiant