Page:Rachilde - Nono, 1885.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
nono

Mais, cette nuit-là, l’air lui manqua tellement qu’elle sortit sans avoir conscience de ce qu’elle faisait. Machinalement, elle gagna l’escalier des combles. Elle monta, chancelante, et glissant sur le mur frais ses mains brûlantes de fièvre. Quand elle fut devant la porte elle hésita, puis elle finit par entrer, saisie de l’impérieux désir de respirer dans l’atmosphère d’un être vivant.

Bruno dormait pour de bon. Il avait replié son bras autour de sa tête. Sa bouche laissait passer un souffle régulier, calme et léger comme celui d’un enfant. Derrière les vitres sans rideaux la lune resplendissait le baignant d’une lueur adorablement pâle, et donnant un aspect tout nouveau à son visage boudeur.

Renée s’arrêta en tressaillant.

— Mais ce n’est plus Bruno ! où donc ai-je aperçu déjà cette tête endormie ? » pensa-t-elle.

Alors, comme dans un songe sur le point d’être effacé pour toujours de son souvenir, elle revit dans les immenses galeries du Louvre, et à la clarté pâle et froide des fenêtres vides, la tête de la Niobé, aux traits puissants, à la bouche épaisse et amère ; elle retrouva toutes les lignes de ce masque magnifique, depuis la paupière longue et penchée, jusqu’au modelé du cou d’une rondeur ravissante.

Ce n’était pas une statue heureusement, car elle aurait tremblé devant un marbre : la statue est trop l’image du cadavre.

Bruno avait de beaux cils noirs, des cils de femme brune, pressés, luisants comme une frange. Sous les