Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/18

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intégralement il faut avoir chaud jusqu’aux os, ce qui est mon cas.

Je suis devant la gare Montparnasse ; la rue de Rennes coule, en face de moi, comme un large fleuve, charriant ses lourds vaisseaux-autobus et les barques houleuses de ses taxis. De temps en temps, un yacht de plaisance, une voiture de marque, trace un sillage élégant dans la cohue et, par hasard, n’écrase personne. Quant aux malheureux poissons de mer, ou d’eau douce, qui frayent en ces parages, ils se glissent dessus ou dessous les différents courants de cette navigation intensive. Quelques-uns finissent par sauter en l’air, la bouche ouverte pour un cri d’épouvante, puis, muets comme il sied à des poissons bien dressés, déjà à moitié asphyxiés par l’odeur de l’essence et complètement assourdis par le bruit des trompes, ils regagnent le flot, disparaissent.

J’adore ce spectacle. Je m’y intéresse, tel un habitant de Mars chu sur notre planète. N’ayant jamais de but déterminé, sinon garder mon équilibre, et possédant le suprême entraînement de tout risquer, pour le conserver. J’arrive à me mouvoir très à l’aise dans les vagues de la foule. Je me laisse porter, je fais la planche, je plonge, selon les occasions. Moi, je ne vais nulle part… qu’en avant.