Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/64

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spectrale d’une cruelle vérité ! ce bouclier d’argent où pénètrent les regards en flèches qui s’émoussent, dont l’acier plie ! Qui me rendra ces bras, ces mains, tordus en arrière, enroulés au tronc de l’arbre, noués à cet autre corps décapité, mort, qui fut jadis l’asile de nids remplis d’amour et de battements d’ailes ?

Pourquoi ai-je aimé cette femme sans y rien comprendre et pourquoi, ayant enfin compris, n’ai-je pu la séparer de mon désir, toujours tendu vers elle ?

Comme on est seul, ici ! Voici près de quinze ans que j’y suis seul. Mais ma solitude vient de bien plus loin. Enfant, j’étais seul, fils unique. Adolescent, je fus seul chez les prêtres qui m’isolèrent le plus possible pour me rapprocher de Dieu. Homme, ayant brisé les chaînes de toutes les religions et de toutes les conventions sociales, je fus seul parmi les femmes de mauvaise vie se disputant ma force au jeu inlassable de mes muscles et des leurs… et je fus encore bien plus seul dans mon culte pour un art difficile qui faisait flamber mon cerveau ébloui au détriment de mes entrailles affamées, m’épuisait sans me satisfaire.

Puis, la solitude affreuse de la guerre où l’on était enfoui dans la bouillie des membres enchevêtrés par le massacre, dans la