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LA COMTESSE.

Vous m’excédez. Le sot !

CHICANEAU.

Vous m’excédez. Le sot ! Que n’ai-je des témoins !


Scène VIII.

CHICANEAU, LA COMTESSE, PETIT-JEAN.
PETIT-JEAN.

Voyez le beau sabbat qu’ils font à notre porte !
Messieurs, allez plus loin tempêter de la sorte.

CHICANEAU.

Monsieur, soyez témoin…

LA COMTESSE.

Monsieur, soyez témoin… Que monsieur est un sot.

CHICANEAU.

Monsieur, vous l’entendez, retenez bien ce mot.

PETIT-JEAN, à la comtesse.

Ah ! vous ne deviez pas lâcher cette parole.

LA COMTESSE.

Vraiment, c’est bien à lui de me traiter de folle !

PETIT-JEAN.
(à Chicaneau.)
Folle ! Vous avez tort. Pourquoi l’injurier ?
CHICANEAU.

On la conseille.

PETIT-JEAN.

On la conseille. Oh !

LA COMTESSE.

On la conseille. Oh ! Oui, de me faire lier.

PETIT-JEAN.

Oh, monsieur !

CHICANEAU.

Oh, monsieur ! Jusqu’au bout que ne m’écoute-t-elle ?

PETIT-JEAN.

Oh, madame !

LA COMTESSE.

Oh, madame ! Qui ? moi, souffrir qu’on me querelle ?

CHICANEAU.

Une crieuse…

PETIT-JEAN.

Une crieuse… Hé, paix !

LA COMTESSE.

Une crieuse… Hé, paix ! Un chicaneur !

PETIT-JEAN.

Une crieuse… Hé, paix ! Un chicaneur ! Holà !

CHICANEAU.

Qui n’ose plus plaider !

LA COMTESSE.

Qui n’ose plus plaider ! Que t’importe cela ?
Qu’est-ce qui t’en revient, faussaire abominable,
Brouillon, voleur ?

CHICANEAU.

Brouillon, voleur ? Et bon, et bon, de par le diable :
Un sergent ! un sergent !

LA COMTESSE.

Un sergent ! un sergent ! Un huissier ! un huissier !

PETIT-JEAN, seul.

Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.




ACTE SECOND.





Scène première.

L’INTIMÉ, LÉANDRE.
L’INTIMÉ.

Monsieur, encore un coup, je ne puis pas tout faire :
Puisque je fais l’huissier, faites le commissaire.
En robe sur mes pas il ne faut que venir,
Vous aurez tout moyen de vous entretenir.
Changez en cheveux noirs votre perruque blonde.
Ces plaideurs songent-ils que vous soyez au monde ?
Hé ! lorsqu’à votre père ils vont faire leur cour,
À peine seulement savez-vous s’il est jour.
Mais n’admirez-vous pas cette bonne comtesse
Qu’avec tant de bonheur la fortune m’adresse ;
Qui, dès qu’elle me voit, donnant dans le panneau,
Me charge d’un exploit pour monsieur Chicaneau,
Et le fait assigner pour certaine parole,
Disant qu’il la voudrait faire passer pour folle,
Je dis folle à lier, et pour d’autres excès
Et blasphèmes, toujours l’ornement des procès ?
Mais vous ne dites rien de tout mon équipage ?
Ai-je bien d’un sergent le port et le visage ?

LÉANDRE.

Ah ! fort bien !

L’INTIMÉ.

Ah ! fort bien ! Je ne sais, mais je me sens enfin
L’âme et le dos six fois plus durs que ce matin.
Quoi qu’il en soit, voici l’exploit et votre lettre :
Isabelle l’aura, j’ose vous le promettre.
Mais, pour faire signer le contrat que voici,
Il faut que sur mes pas vous vous rendiez ici.
Vous feindrez d’informer sur toute cette affaire,
Et vous ferez l’amour en présence du père.

LÉANDRE.

Mais ne va pas donner l’exploit pour le billet.

L’INTIMÉ.

Le père aura l’exploit, la fille le poulet.
Rentrez.

(L’Intimé va frapper à la porte d’Isabelle.)