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Scène II.

ISABELLE, L’INTIMÉ.
ISABELLE.

Rentrez. Qui frappe ?

L’INTIMÉ.
(à part.)
Rentrez. Qui frappe ? Ami. C’est la voix d’Isabelle.
ISABELLE.

Demandez-vous quelqu’un, monsieur ?

L’INTIMÉ.

Demandez-vous quelqu’un, monsieur ? Mademoiselle,
C’est un petit exploit que j’ose vous prier
De m’accorder l’honneur de vous signifier.

ISABELLE.

Monsieur, excusez-moi, je n’y puis rien comprendre :
Mon père va venir qui pourra vous entendre.

L’INTIMÉ.

Il n’est donc pas ici, mademoiselle ?

ISABELLE.

Il n’est donc pas ici, mademoiselle ? Non.

L’INTIMÉ.

L’exploit, mademoiselle, est mis sous votre nom.

ISABELLE.

Monsieur, vous me prenez pour une autre, sans doute :
Sans avoir de procès, je sais ce qu’il en coûte ;
Et si l’on n’aimait pas à plaider plus que moi,
Vos pareils pourraient bien chercher un autre emploi.
Adieu.

L’INTIMÉ.

Adieu. Mais permettez…

ISABELLE.

Adieu. Mais permettez… Je ne veux rien permettre.

L’INTIMÉ.

Ce n’est pas un exploit.

ISABELLE.

Ce n’est pas un exploit. Chanson !

L’INTIMÉ.

Ce n’est pas un exploit. Chanson ! C’est une lettre.

ISABELLE.

Encor moins.

L’INTIMÉ.

Encor moins. Mais lisez.

ISABELLE.

Encor moins. Mais lisez. Vous ne m’y tenez pas.

L’INTIMÉ.

C’est de monsieur…

ISABELLE.

C’est de monsieur… Adieu.

L’INTIMÉ.

C’est de monsieur… Adieu. Léandre.

ISABELLE.

C’est de monsieur… Adieu. Léandre. Parlez bas.
C’est de monsieur…

L’INTIMÉ.

C’est de monsieur… Que diable ! On a bien de la peine
À se faire écouter : je suis tout hors d’haleine.

ISABELLE.

Ah ! L’Intimé, pardonne à mes sens étonnés ;
Donne.

L’INTIMÉ.

Donne. Vous me deviez fermer la porte au nez.

ISABELLE.

Et qui t’aurait connu déguisé de la sorte ?
Mais donne.

L’INTIMÉ.

Mais donne. Aux gens de bien ouvre-t-on votre porte.

ISABELLE.

Eh ! donne donc.

L’INTIMÉ.

Eh ! donne donc. La peste !

ISABELLE.

Eh ! donne donc. La peste ! Oh ! ne donnez donc pas.
Avec votre billet retournez sur vos pas.

L’INTIMÉ.

Tenez. Une autre fois ne soyez pas si prompte.


Scène III.

L’INTIMÉ, ISABELLE, CHICANEAU.
CHICANEAU.

Oui, je suis donc un sot, un voleur, à son compte !
Un sergent s’est chargé de la remercier ;
Et je lui vais servir un plat de mon métier.
Je serais bien fâché que ce fût à refaire,
Ni qu’elle m’envoyât assigner la première.
Mais un homme ici parle à ma fille ! Comment !
Elle lit un billet ! Ah ! c’est de quelque amant.
Approchons.

ISABELLE.

Approchons. Tout de bon, ton maître est-il sincère ?
Le croirai-je ?

L’INTIMÉ.

Le croirai-je ? Il ne dort non plus que votre père.

(apercevant Chicaneau.)
Il se tourmente ; il vous… fera voir aujourd’hui

Que l’on ne gagne rien à plaider contre lui.

ISABELLE, apercevant Chicaneau.

C’est mon père !

(à l’Intimé.)
C’est mon père ! Vraiment, vous leur pouvez apprendre

Que si l’on nous poursuit nous saurons nous défendre.

(déchirant le billet.)
Tenez, voilà le cas qu’on fait de votre exploit.
CHICANEAU.

Comment ! C’est un exploit que ma fille lisoit !