Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/126

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Ah ! tu seras un jour l’honneur de ta famille :
Tu défendras ton bien. Viens, mon sang ; viens, ma fille.
Va, je t’achèterai le Praticien françois.
Mais, diantre ! il ne faut pas déchirer les exploits.

ISABELLE, à l’Intimé.

Au moins, dites-leur bien que je ne les crains guère :
Ils me feront plaisir ; je les mets à pis faire.

CHICANEAU.

Eh ! ne te fâche point.

ISABELLE, à l’Intimé.

Eh ! ne te fâche point. Adieu, monsieur.


Scène IV.

CHICANEAU, L’INTIMÉ.
L’INTIMÉ, se mettant en état d’écrire.

Eh ! ne te fâche point. Adieu, monsieur. Or çà,
Verbalisons.

CHICANEAU.

Verbalisons. Monsieur, de grâce, excusez-la :
Elle n’est pas instruite ; et puis, si bon vous semble,
En voici les morceaux que je vais mettre ensemble.

L’INTIMÉ.

Non.

CHICANEAU.

Non. Je le lirai bien.

L’INTIMÉ.

Non. Je le lirai bien. Je ne suis pas méchant :
J’en ai sur moi copie.

CHICANEAU.

J’en ai sur moi copie. Ah ! le trait est touchant.
Mais je ne sais pourquoi, plus je vous envisage,
Et moins je me remets, monsieur, votre visage.
Je connais force huissiers.

L’INTIMÉ.

Je connais force huissiers. Informez-vous de moi.
Je m’acquitte assez bien de mon petit emploi.

CHICANEAU.

Soit. Pour qui venez-vous ?

L’INTIMÉ.

Soit. Pour qui venez-vous ? Pour une brave dame,
Monsieur, qui vous honore, et de toute son âme
Voudrait que vous vinssiez, à ma sommation,
Lui faire un petit mot de réparation.

CHICANEAU.

De réparation ? Je n’ai blessé personne.

L’INTIMÉ.

Je le crois : vous avez, monsieur, l’âme trop bonne.

CHICANEAU.

Que demandez-vous donc ?

L’INTIMÉ.

Que demandez-vous donc ? Elle voudrait, monsieur,
Que devant des témoins vous lui fissiez l’honneur
De l’avouer pour sage, et point extravagante.

CHICANEAU.

Parbleu, c’est ma comtesse !

L’INTIMÉ.

Parbleu, c’est ma comtesse ! Elle est votre servante.

CHICANEAU.

Je suis son serviteur.

L’INTIMÉ.

Je suis son serviteur. Vous êtes obligeant,
Monsieur.

CHICANEAU.

Monsieur. Oui, vous pouvez l’assurer qu’un sergent
Lui doit porter pour moi tout ce qu’elle demande.
Eh quoi donc ! les battus, ma foi, paieront l’amende.
Voyons ce qu’elle chante. Hon… Sixième janvier,
Pour avoir faussement dit qu’il fallait lier,
Étant à ce porté par esprit de chicane,
Haute et puissante dame Yolande Cudasne,
Comtesse de Pimbesche, Orbesche, et cætera,
Il soit dit que sur l’heure il se transportera
Au logis de la dame ; et là, d’une voix claire,
Devant quatre témoins assistés d’un notaire,
Zeste ! ledit Hiérome avoûra hautement
Qu’il la tient pour sensée et de bon jugement…
Le Bon. C’est donc le nom de votre seigneurie ?

L’INTIMÉ.
(à part.)
Pour vous servir. Il faut payer d’effronterie.
CHICANEAU.

Le Bon ! Jamais exploit ne fut signé Le Bon.
Monsieur Le Bon…

L’INTIMÉ.

Monsieur Le Bon… Monsieur ?

CHICANEAU.

Monsieur Le Bon… Monsieur ? Vous êtes un fripon…

L’INTIMÉ.

Monsieur, pardonnez-moi, je suis fort honnête homme.

CHICANEAU.

Mais fripon le plus franc qui soit de Caen à Rome.

L’INTIMÉ.

Monsieur, je ne suis pas pour vous désavouer :
Vous aurez la bonté de me le bien payer.

CHICANEAU.

Moi, payer ? En soufflets.

L’INTIMÉ.

Moi, payer ? En soufflets. Vous êtes trop honnête :
Vous me le paîrez bien.

CHICANEAU.

Vous me le paîrez bien. Oh ! tu me romps la tête.
Tiens, voilà ton payement.

L’INTIMÉ.

Tiens, voilà ton payement. Un soufflet ! Écrivons :
Lequel Hiérome, après plusieurs rébellions,
Aurait atteint, frappé, moi sergent, à la joue,