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ROXANE, ZATIME.
ROXANE.

Pour la dernière fois, perfide, tu m’as vue,
Et tu vas rencontrer la peine qui t’est due.

ZATIME.

Atalide à vos pieds demande à se jeter,
Et vous prie un moment de vouloir l’écouter,
Madame ; elle vous veut faire l’aveu fidèle
D’un secret important qui vous touche plus qu’elle.

ROXANE.

Oui, qu’elle vienne. Et toi, suis Bajazet qui sort ;
Et quand il sera temps, viens m’apprendre son sort.


Scène VI.

ROXANE, ATALIDE.
ATALIDE.

Je ne viens plus, madame, à feindre disposée,
Tromper votre bonté si longtemps abusée ;
Confuse, et digne objet de vos inimitiés,
Je viens mettre mon cœur et mon crime à vos pieds.
Oui, madame, il est vrai que je vous ai trompée :
Du soin de mon amour seulement occupée,
Quand j’ai vu Bajazet, loin de vous obéir,
Je n’ai dans mes discours songé qu’à vous trahir.
Je l’aimai dès l’enfance ; et dès ce temps, madame,
J’avais par mille soins su prévenir son âme.
La sultane sa mère, ignorant l’avenir,
Hélas ! pour son malheur, se plut à nous unir.
Vous l’aimâtes depuis : plus heureux l’un et l’autre,
Si, connaissant mon cœur, ou me cachant le vôtre,
Votre amour de la mienne eût su se défier !
Je ne me noircis point pour le justifier.
Je jure par le ciel qui me voit confondue,
Par ces grands Ottomans dont je suis descendue,
Et qui tous avec moi vous parlent à genoux,
Pour le plus pur du sang qu’ils ont transmis en nous,
Bajazet à vos soins tôt ou tard plus sensible,
Madame, à tant d’attraits n’était pas invincible.
Jalouse, et toujours prête à lui représenter
Tout ce que je croyais digne de l’arrêter.
Je n’ai rien négligé, plaintes, larmes, colère,
Quelquefois attestant les mânes de sa mère ;
Ce jour même, des jours le plus infortuné,
Lui reprochant l’espoir qu’il vous avait donné,
Et de ma mort enfin le prenant à partie,
Mon importune ardeur ne s’est point ralentie,
Qu’arrachant malgré lui des gages de sa foi,
Je ne sois parvenue à le perdre avec moi.
Mais pourquoi vos bontés seraient-elles lassées ?
Ne vous arrêtez point à ses froideurs passées :
C’est moi qui l’y forçai. Les nœuds que j’ai rompus
Se rejoindront bientôt quand je ne serai plus.
Quelque peine pourtant qui soit due à mon crime,
N’ordonnez pas vous-même une mort légitime,
Et ne vous montrez point à son cœur éperdu,
Couverte de mon sang par vos mains répandu :
D’un cœur trop tendre encore épargnez la faiblesse
Vous pouvez de mon sort me laisser la maîtresse,
Madame ; mon trépas n’en sera pas moins prompt.
Jouissez d’un bonheur dont ma mort vous répond ;
Couronnez un héros dont vous serez chérie :
J’aurai soin de ma mort ; prenez soin de sa vie.
Allez, madame, allez : avant votre retour,
J’aurai d’une rivale affranchi votre amour.

ROXANE.

Je ne mérite pas un si grand sacrifice :
Je me connais, madame, et je me fais justice.
Loin de vous séparer, je prétends aujourd’hui
Par des nœuds éternels vous unir avec lui :
Vous jouirez bientôt de son aimable vue.
Levez-vous. Mais que veut Zatime toute émue ?


Scène VII.

ROXANE, ATALIDE, ZATIME.
ZATIME.

Ah ! venez vous montrer, madame, ou désormais
Le rebelle Acomat est maître du palais :
Profanant des sultans la demeure sacrée,
Ses criminels amis en ont forcé l’entrée.
Vos esclaves tremblants, dont la moitié s’enfuit,
Doutent si le vizir vous sert ou vous trahit.

ROXANE.

Ah ! les traîtres ! Allons et courons le confondre.
Toi, garde ma captive, et songe à m’en répondre.


Scène VIII.

ATALIDE, ZATIME.
ATALIDE.

Hélas ! pour qui mon cœur doit-il faire des vœux ?
J’ignore quel dessein les anime tous deux.
Si de tant de malheurs quelque pitié te touche,
Je ne demande point, Zatime, que ta bouche
Trahisse en ma faveur Roxane et son secret ;
Mais, de grâce, dis-moi ce que fait Bajazet.
L’as-tu vu ? Pour ses jours n’ai-je encor rien à craindre ?

ZATIME.

Madame, en vos malheurs je ne puis que vous plaindre.

ATALIDE.

Quoi ! Roxane déjà l’a-t-elle condamné ?

ZATIME.

Madame, le secret m’est surtout ordonné.