Peut-on, en le voyant, ne le connaître pas !
L’orgueil et le dédain sont peints sur son visage.
On lit dans ses regards sa fureur et sa rage.
Je croyais voir marcher la mort devant ses pas.
Je ne sais si ce tigre a reconnu sa proie :
Mais, en nous regardant, mes sœurs, il m’a semblé
Qu’il avait dans les yeux une barbare joie
Dont tout mon sang est encore troublé.
Que ce nouvel honneur va croître son audace !
Je le vois, mes sœurs, je le voi :
À la table d’Esther l’insolent près du roi
A déjà pris sa place.
Ministres du festin, de grâce, dites-nous,
Quels mets à ce cruel, quel vin préparez-vous ?
Le sang de l’orphelin,
Les pleurs des misérables,
Sont ses mets les plus agréables ;
C’est son breuvage le plus doux.
Chères sœurs, suspendez la douleur qui vous presse.
Chantons, on nous l’ordonne, et que puissent nos chants
Du cœur d’Assuérus adoucir la rudesse,
Comme autrefois David, par ses accords touchants,
Calmait d’un roi jaloux la sauvage tristesse !
Que le peuple est heureux
Lorsqu’un roi généreux,
Craint dans tout l’univers, veut encore qu’on l’aime !
Heureux le peuple ! heureux le roi lui-même !
Ô repos ! ô tranquillité !
Ô d’un parfait bonheur assurance éternelle,
Quand la suprême autorité
Dans ses conseils a toujours auprès d’elle
La justice et la vérité !
Rois, chassez la calomnie :
Ses criminels attentats
Des plus paisibles États
Troublent l’heureuse harmonie.
Sa fureur, de sang avide,
Poursuit partout l’innocent.
Rois, prenez soin de l’absent
Contre sa langue homicide.
De ce monstre si farouche
Craignez la feinte douceur :
La vengeance est dans son cœur,
Et la pitié dans sa bouche.
La fraude adroite et subtile
Sème de fleurs son chemin :
Mais sur ses pas vient enfin
Le repentir inutile.
D’un souffle l’aquilon écarte les nuages,
Et chasse au loin la foudre et les orages.
Un roi sage, ennemi du langage menteur,
Écarte d’un regard le perfide imposteur.
J’admire un roi victorieux,
Que sa valeur conduit triomphant en tous lieux ;
Mais un roi sage et qui hait l’injustice,
Qui sous la loi du riche impérieux
Ne souffre point que le pauvre gémisse,
Est le plus beau présent des cieux.
La veuve en sa défense espère.
De l’orphelin il est le père.
Et les larmes du juste implorant son appui
Sont précieuses devant lui.
Détourne, roi puissant, détourne tes oreilles
De tout conseil barbare et mensonger.
Il est temps que tu t’éveilles :
Dans le sang innocent ta main va se plonger
Pendant que tu sommeilles.
Détourne, roi puissant, détourne tes oreilles
De tout conseil barbare et mensonger.
Ainsi puisse sous toi trembler la terre entière !
Ainsi puisse à jamais contre tes ennemis
Le bruit de ta valeur te servir de barrière !
S’ils t’attaquent, qu’ils soient en un moment soumis ;
Que de ton bras la force les renverse ;
Que de ton nom la terreur les disperse :
Que tout leur camp nombreux soit devant tes soldats
Comme d’enfants une troupe inutile ;
Et si par un chemin il entre en tes États,
Qu’il en sorte par plus de mille.