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Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage ;
Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser,
De ses bras innocents je me sentis presser.
Grand Dieu ! que mon amour ne lui soit point funeste !
Du fidèle David c’est le précieux reste :
Nourri dans ta maison, en l’amour de ta loi,
Il ne connaît encor d’autre père que toi.
Sur le point d’attaquer une reine homicide,
À l’aspect du péril si ma foi s’intimide,
Si la chair et le sang, se troublant aujourd’hui,
Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
Conserve l’héritier de tes saintes promesses,
Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses !

JOAD.

Vos larmes, Josabeth, n’ont rien de criminel ;
Mais Dieu veut qu’on espère en son soin paternel.
Il ne recherche point, aveugle en sa colère,
Sur le fils qui le craint l’impiété du père.
Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
Lui viendront aujourd’hui renouveler leurs vœux :
Autant que de David la race est respectée,
Autant de Jézabel la fille est détestée.
Joas les touchera par sa noble pudeur,
Où semble de son sang reluire la splendeur ;
Et Dieu par sa voix même appuyant notre exemple,
De plus près à leur cœur parlera de son temple.
Deux infidèles rois tour à tour l’ont bravé :
Il faut que sur le trône un roi soit élevé,
Qui se souvienne un jour qu’au rang de ses ancêtres
Dieu l’a fait remonter par la main de ses prêtres,
L’a tiré par leur main de l’oubli du tombeau,
Et de David éteint rallumé le flambeau.
Grand Dieu, si tu prévois qu’indigne de sa race
Il doive de David abandonner la trace,
Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché,
Ou qu’un souffle ennemi dans sa fleur a séché !
Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
Doit être à tes desseins un instrument utile,
Fais qu’au juste héritier le sceptre soit remis ;
Livre à mes faibles mains ses puissants ennemis ;
Confonds dans ses conseils une reine cruelle :
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,
De la chute des rois funeste avant-coureur !
L’heure me presse : adieu. Des plus saintes familles
Votre fils et sa sœur vous amènent les filles.


Scène III.

JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, le chœur.
JOSABETH.

Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas ;
De votre auguste père accompagnez les pas.
Ô filles de Lévi, troupe jeune et fidèle,
Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,
Qui venez si souvent partager mes soupirs,
Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,
Ces festons dans vos mains, et ces fleurs sur vos têtes,
Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes :
Mais, hélas ! en ce temps d’opprobre et de douleurs,
Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs !
J’entends déjà, j’entends la trompette sacrée,
Et du temple bientôt on permettra l’entrée.
Tandis que je me vais préparer à marcher,
Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.


Scène IV.

LE CHŒUR.
TOUT LE CHŒUR chante.

Tout l’univers est plein de sa magnificence :
Qu’on l’adore ce Dieu, qu’on l’invoque à jamais !
Son empire a des temps précédé la naissance,
Chantons, publions ses bienfaits.

UNE VOIX, seule.

En vain l’injuste violence
Au peuple qui le loue imposerait silence :
Son nom ne périra jamais.
Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance ;
Tout l’univers est plein de sa magnificence :
Chantons, publions ses bienfaits.

TOUT LE CHŒUR répète.

Tout l’univers est plein de sa magnificence :
Chantons, publions ses bienfaits.

UNE VOIX, seule.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture ;
Il fait naître et mûrir les fruits :
Il leur dispense avec mesure
Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ;
Le champ qui les reçut les rend avec usure.

UNE AUTRE.

Il commande au soleil d’animer la nature,
Et la lumière est un don de ses mains ;
Mais sa loi sainte, sa loi pure
Est le plus riche don qu’il ait fait aux humains.

UNE AUTRE.

Ô mont de Sinaï, conserve la mémoire
De ce jour à jamais auguste et renommé,
Quand, sur ton sommet enflammé,
Dans un nuage épais le Seigneur enfermé
Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire.
Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,
Ces torrents de fumée, et ce bruit dans les airs,
Ces trompettes et ce tonnerre :
Venait-il renverser l’ordre des éléments ?
Sur ses antiques fondements
Venait-il ébranler la terre ?