Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner.
Non, je ne serai point complice de ses crimes[1] ;
Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes.
Tous mes ressentiments lui seroient asservis[2].
Hé bien ! allons donc voir expirer votre fils ;
On n’attend plus que vous. Vous frémissez, Madame !
Ah ! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme !
Quoi ? Céphise, j’irai voir expirer encor
Ce fils, ma seule joie, et l’image d’Hector :
Ce fils, que de sa flamme il me laissa pour gage !
Hélas ! je m’en souviens, le jour que son courage[3]
Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas,
Il demanda son fils, et le prit dans ses bras[4] :
« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes,
J’ignore quel succès le sort garde à mes armes ;
Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :
S’il me perd, je prétends qu’il me retrouve en toi.
Si d’un heureux hymen la mémoire t’est chère,
Montre au fils à quel point tu chérissois le père. »
Et je puis voir répandre un sang si précieux ?
Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ?
- ↑ On lit dans l’édition de 1713 : « ces crimes, » au lieu de : « ses crimes. »
- ↑ Les éditions de 1768, de 1807, de 1808 et celle de M. Aimé-Martin ont mis à tort après ce vers un point d’exclamation, qui n’est point dans les anciennes éditions, et qui affaiblit le sens.
- ↑ Var. Hélas ! il m’en souvient, le jour que son courage. (1668 et 73)
- ↑ Racine introduit ici, avec beaucoup d’art, le souvenir des adieux d’Hector et d’Andromaque dans le sixième livre de l’Iliade. Mais dans les paroles qu’il prête à Hector, il n’a rien emprunté à Homère.