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Page:Racine - Œuvres, t2, éd. Mesnard, 1865.djvu/103

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ACTE III, SCÈNE VIII.

Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.
1005Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner.
Non, je ne serai point complice de ses crimes[1] ;
1010Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes.
Tous mes ressentiments lui seroient asservis[2].

CÉPHISE.

Hé bien ! allons donc voir expirer votre fils ;
On n’attend plus que vous. Vous frémissez, Madame !

ANDROMAQUE.

Ah ! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme !
1015Quoi ? Céphise, j’irai voir expirer encor
Ce fils, ma seule joie, et l’image d’Hector :
Ce fils, que de sa flamme il me laissa pour gage !
Hélas ! je m’en souviens, le jour que son courage[3]
Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas,
1020Il demanda son fils, et le prit dans ses bras[4] :
« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes,
J’ignore quel succès le sort garde à mes armes ;
Je te laisse mon fils pour gage de ma foi :
S’il me perd, je prétends qu’il me retrouve en toi.
1025Si d’un heureux hymen la mémoire t’est chère,
Montre au fils à quel point tu chérissois le père. »
Et je puis voir répandre un sang si précieux ?
Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ?

  1. On lit dans l’édition de 1713 : « ces crimes, » au lieu de : « ses crimes. »
  2. Les éditions de 1768, de 1807, de 1808 et celle de M. Aimé-Martin ont mis à tort après ce vers un point d’exclamation, qui n’est point dans les anciennes éditions, et qui affaiblit le sens.
  3. Var. Hélas ! il m’en souvient, le jour que son courage. (1668 et 73)
  4. Racine introduit ici, avec beaucoup d’art, le souvenir des adieux d’Hector et d’Andromaque dans le sixième livre de l’Iliade. Mais dans les paroles qu’il prête à Hector, il n’a rien emprunté à Homère.