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NOTICE.

beauté de la pièce. Il chicanait plutôt l’admiration qu’il ne la refusait. Racine trouva des censeurs moins réservés. Il fut, au milieu de son succès, inquiété par plus d’une attaque, et dans ce temps il n’en souffrait aucune avec patience. On connaît par les deux épigrammes sanglantes qu’il fit, l’une contre le duc de Créqui, l’autre contre ce même duc et le comte d’Olonne, la malveillance avec laquelle ces grands seigneurs avaient jugé sa tragédie. Les traits qu’il leur renvoya les frappaient en plein visage avec une si terrible justesse qu’on se demande si c’étaient bien précisément ceux-là que, par leurs imprudentes critiques, ils lui avaient eux-mêmes fournis. Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut surtout voir dans ces épigrammes, c’est avec quelle vivacité le poëte entrait dans cette guerre, sans se laisser effrayer par des ennemis si qualifiés. Parmi les objections, souvent contradictoires, que l’on fit au caractère de ses personnages, et qui tombaient tantôt sur Pyrrhus, tantôt sur Oreste ou sur Andromaque, il en est une qu’on attribue au grand Condé, et que ce prince soutenait sans doute avec cette hauteur impérieuse et cet emportement dont il avait, nous dit-on, l’habitude, particulièrement lorsqu’il avait tort. « Pyrrhus, disent Louis Racine et Brossette, parut au grand Condé trop violent et trop emporté. » Était-ce donc lui (on serait bien tenté de le croire) que Racine prenait à partie dans ce passage de sa première préface ? « Il s’est trouvé des gens qui se sont plaints que Pyrrhus s’emportât contre Andromaque et qu’il voulût épouser cette captive à quelque prix que ce fût. » Si ce n’était pas avec un héros que le poëte avait ce démêlé, il nous semble qu’on ne s’expliquerait plus très-bien sa riposte : « Tous les héros ne sont pas faits pour être des Céladons, » où le mot tous serait de trop. Toutefois la hardiesse eût été grande, bien autrement surprenante que celle de l’épigramme contre d’Olonne et Créqui ; et bien des personnes hésiteront à penser que Racine, si peu maître qu’il fût de retenir ses sarcasmes, ait pu s’en permettre un semblable contre un prince du sang, couvert de tant de gloire, qui avait été d’ailleurs un des admirateurs les plus déclarés de la tragédie d’Alexandre, et qui traitait d’ordinaire le jeune poëte avec tant de bienveillance.

Racine disait que pour s’embarrasser du chagrin de deux ou trois personnes, il avait trouvé le public trop favorable à sa