Page:Racine - Œuvres, t4, éd. Mesnard, 1865.djvu/338

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sant m’a fait pitié. Ce n’est pas que vous demeuriez toujours dans les bornes de votre partage : il prend quelquefois envie au plaisant de se fâcher, et au mélancolique de s’égayer ; car, sans compter la manière ingénieuse dont il nous peint ces Romains qu’on voyoit à la tête d’une armée et à la queue dune charrue, il me dit assez galamment « que si je veux me servir de l’autorité de saint Grégoire en faveur de la tragédie, il faut me résoudre à être toute ma vie le poëte de la Passion. » Voyez à quoi l’on s’expose quand on force son naturel : il n’a pu rire sans abuser du plus saint de nos mystères ; et la seule plaisanterie qu’il fait est une impiété.

Mais vous vous accordez surtout dans la pensée que je suis un poëte de théâtre ; vous en êtes pleinement persuadés, et c’est le sujet de toutes vos réflexions sévères et enjouées. Où en seriez-vous. Messieurs, si l’on découvroit que je n’ai point fait de comédies[1] ? Voilà bien des lieux communs hasardés, et vous auriez pénétré inutilement tous les replis du cœur d’un poëte.

Par exemple. Messieurs, si je supposois que vous êtes deux grands docteurs ; si je prenois mes mesures là-dessus, et qu’ensuite (car il arrive des choses plus extraordinaires) on vînt à découvrir que vous n’êtes rien moins tous deux que de savants théologiens, que ne diriez-vous point de moi ? Vous ne manqueriez pas encore de vous écrier que je ne me connois point en auteurs, que je confonds les Chamillardes avec les Visionnaires, et que je prends des

  1. M. Aimé-Martin explique cette phrase par une note singulière : « Les Plaideurs ne parurent qu’en 1668. » Le terme général de comédies s’appliquait alors à toutes les pièces de théâtre ; et l’on ne peut prêter à Racine le subterfuge que cette note ferait supposer. Il s’amusait à tenir ses adversaires dans l’incertitude sur le véritable auteur de la première lettre, et leur demandait s’ils étaient sûrs d’avoir affaire à un poëte de théâtre ; mais il ne résolvait pas le doute.