Page:Racine - Œuvres, t5, éd. Mesnard, 1865.djvu/421

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sembler4 tous les termes dont l’éloquence5 et la poésie peuvent former l’éloge des plus grands héros, nous avouons, Sire, que vous nous en avez fait sentir plus d’une fois et le défaut et la foiblesse6. Lorsque notre zèle7 ou notre devoir nous ont engagés à parler du secret impénétrable8 de vos desseins, que la seule exécution découvre aux yeux des hommes, et toujours dans les moments marqués par votre sagesse, les mots de prévoyance, de prudence et de sagesse même ne répondoient pas à nos idées9, et nous aurions osé nous servir de celui de providence10, s’il pouvoit jamais être permis de donner aux hommes ce qui n’appartient qu’à Dieu seul. Ce qui nous console11. Sire, c’est que sur un pareil sujet les autres langues n’auroient aucun avantage sur la nôtre12 : celle des Grecs et celle des Romains seroient dans la même indigence ; et tout ce que nous voyons de brillant et de sublime dans leurs plus fameux panégyriques13 n’auroit ni assez de force ni assez d’éclat pour soutenir le simple récit de vos victoires. Que l’on remonte de siècle en siècle jusqu’à l’antiquité la plus reculée, qu’y trouvera-t-on de comparable au spectacle qui fait aujourd’hui l’attention de l’univers : toute l’Europe armée contre vous, et toute l’Europe trop foible ?

Qu’il nous soit permis, Sire, de détourner un moment les yeux d’une gloire si éclatante14, et d’oublier, s’il est possible, le vainqueur des nations15, le vengeur des rois16, le défenseur des autels, pour ne regarder que le protecteur de l’Académie françoise. Nous sentons combien nous honore une protection si glorieuse17 ; mais quel bonheur pour nous de trouver en même temps le modèle le plus parfait de l’éloquence18 ! Vous êtes. Sire, naturellement et sans art, ce que nous tâchons de devenir par le travail et par l’étude19 ; il règne dans tous vos discours20 une souveraine raison21, toujours soutenue d’expressions fortes et précises, qui vous rendent maître de toute l’âme de ceux qui vous écoutent, et ne leur laissent d’autre volonté que la vôtre22. L’éloquence où nous aspirons par nos veilles, et qui est en vous un don du ciel, que ne doit-elle point à vos actions héroïques23 ? Les grâces que vous versez sans cesse sur les gens de lettres peuvent bien faire fleurir les arts et les sciences ; mais ce sont les grands événements qui font les poëtes et les orateurs24 : les merveilles de votre règne en auroient fait naître au milieu d’un pays barbare.

Tandis que nous nous appliquons25 à l’embellissement de notre langue, vos armes victorieuses la font passer chez les étrangers : nous leur en facilitons l’intelligence par notre travail, et vous la leur rendez nécessaire par vos conquêtes ; et si elle va encore plus loin que nos conquêtes, si elle réduit toutes les langues des pays où elle est connue à ne servir presque plus qu’au commun du peuple, une si haute destinée vient moins de sa beauté naturelle et des ornements que nous avons tâché d’y ajouter26, que de l’avantage d’être la langue de la nation qui vous a pour monarque, et (nous ne craignons point de le dire) que vous avez rendue la nation dominante. Vous répandez sur nous27 un éclat qui assujettit les étrangers à nos coutumes dans tout ce que leurs lois peuvent leur avoir laissé de libre : ils se font honneur de parler