Page:Racine - Œuvres, t5, éd. Mesnard, 1865.djvu/428

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19. Vous êtes, Sire, naturellement et sans art, ce que nous tâchons de devenir par l’étude. — Pour juger si cette proposition renferme un sens juste, il faut examiner ce que le Roi est naturellement, et ce que les académiciens doivent travailler à devenir par l’étude. Le Roi est naturellement, c’est-à-dire par sa naissance, et sans y avoir rien contribué de lui-même, roi de France ; il est naturellement très-bien fait ; il est naturellement d’une bonne et heureuse complexion ; et si l’on veut étendre encore davantage le sens de naturellement, il a naturellement de l’esprit, de la pénétration, de la bonté, de la douceur, de la fermeté, de la grandeur d’âme. Voilà à peu près ce qu’on peut dire que le Roi est naturellement, et qu’il a sans le secours de l’art. Mais est-ce là ce qu’un académicien doit se proposer de devenir et d’acquérir ? Il me semble que, comme académicien, ce qu’il doit se proposer, c’est de devenir un excellent grammairien, un excellent critique en matière de littérature, un excellent historien, un excellent orateur, un excellent poète, enfin un excellent homme de lettres. Or le Roi n’est rien de tout cela naturellement.

20. Il règne dans tous vos discours. — La chose est vraie en soi, mais elle me paroît mal énoncée ; car ces mots : dans tous vos discours, ne conviennent nullement au Roi. Il faudroit dire : Il règne dans tout ce que vous dites ; ou bien : Vous ne dites rien où il ne règne.

21. Une souveraine raison. — Cette souveraine raison dont il est ici question, et qui fait les sages princes et les habiles politiques, est-ce la même que celle qui fait les orateurs et les poëtes ? Nullement : c’en est une d’une espèce toute différente, et qui n’a rien de commun avec l’éloquence, si ce n’est parce qu’il n’y a point de véritable éloquence que celle qui est fondée sur la raison.

22. Qui vous rendent maître de toute l’âme de ceux qui vous écoutent, et ne leur laissent d’autre volonté que la vôtre. — Tout cela se peut fort bien dire d’un grand prédicateur, d’un grand orateur, d’un éloquent général d’armée, accoutumé à haranguer ses soldats et à leur inspirer ce qu’il veut, mais non pas d’un roi qui donne ses ordres à ses ministres, et qui leur prescrit ce qu’ils doivent faire. Voilà quant au sens des paroles ; je viens maintenant aux paroles mêmes.