Page:Racine - Œuvres, t5, éd. Mesnard, 1865.djvu/429

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C’est fort bien dit, en parlant d’un orateur : ceux qui l’écoutent. Mais en parlant d’un roi qui agite, qui discute avec ses ministres les affaires de son État, il faut dire : ceux qui l’entendent parler. Et dire en cette occasion : ceux qui l’écoutent, c’est une phrase aussi impropre que si on disoit : ses auditeurs, pour dire : ses ministres.

Il y a, ce me semble, une autre faute de justesse dans ces paroles : qui vous rendent… et ne leur laissent ; car ce ne sont pas les expressions fortes et précises qui rendent un homme maître, etc., c’est la souveraine raison, soutenue de ces expressions. Et par conséquent, au lieu que ces mots sont mis au pluriel et se rapportent à expressions, ils doivent être mis au singulier et se rapporter à souveraine raison.

Je crois aussi qu’en cet endroit, expression forte n’est pas bien dit, parce que, dans la bouche du maître, des expressions fortes sont des expressions dures, et qui tiennent de l’empire et de la menace.

Quant à cette autre façon de parler : maître de toute l’âme, il me semble qu’elle a quelque chose de poétique, et qu’elle est ici mal appliquée ; car s’agit-il que le Roi, pour faire entrer ses ministres dans son sentiment, se rende maître de leur esprit par la force de ses raisons et de ses paroles ?

23. L’éloquence où nous aspirons par nos veilles, et qui est en vous un don du ciel, que ne doit-elle point à vus actions héroïques ? — Si on s’étoit contenté de dire que l’éloquence où l’Académie aspire doit beaucoup aux actions héroïques du Roi, on auroit dit une chose qu’on pourroit trouver moyen de soutenir. Mais de dire que l’éloquence, qui est en lui un don du ciel, doit beaucoup à ses actions héroïques, c’est une chose qui ne se peut pas défendre ; car c’est dire précisément que le don du ciel, qui est en lui, doit beaucoup à ses actions.

24. Les grâces que vous versez sans cesse sur les gens de lettres peuvent bien faire fleurir les arts et les sciences ; mais ce sont les grands événements qui font les poètes et les orateurs. — Si les grâces répandues sur les gens de lettres font fleurir les lettres, il s’ensuit nécessairement qu’elles font aussi des poëtes et des orateurs ; car les lettres ne peuvent pas fleurir sans l’éloquence et la poésie. Ainsi le sens du second membre de cette période étant déjà enfermé dans le premier, il n’y a pas