Page:Racine - Œuvres, t5, éd. Mesnard, 1865.djvu/468

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dites là une chose étrange, dit Agathon. Retournez, et ne le quittez point qu’il ne soit entré. — Non, non, dis-je alors, ne le détournez point : il lui arrive assez souvent de s’arrêter ainsi, en quelque endroit qu’il se trouve. Vous le verrez bientôt, si je ne me trompe : il n’y a qu’à le laisser faire. — Puisque c’est là votre avis, dit Agathon, je m’y rends. Et vous, mes enfants, apportez-nous donc à manger ; donnez-nous ce que vous avez ; on vous abandonne l’ordonnance du repas : c’est un soin que je n’ai jamais pris. Ne regardez ici votre maître que comme s’il étoit du nombre des conviés[1]. Faites tout de votre mieux ; et tirez-vous-en à votre honneur. — On servit. Nous commençâmes à souper, et Socrate ne venoit point. Agathon perdoit patience, et vouloit à tout moment qu’on l’appelât ; mais j’empêchois toujours qu’on ne le fit. Enfin il entra comme on avoit à moitié soupé. Agathon, qui étoit seul sur un lit au bout de la table, le pria de se, mettre auprès de lui. — Venez, dit-il, Socrate, venez, que je m’approche de vous le plus que je pourrai, pour tâcher d’avoir ma part des sages pensées que vous venez de trouver ici près ; car je m’assure que vous avez trouvé ce que vous cherchiez. Autrement vous y seriez encore. — Quand Socrate se fut assis : Plût à Dieu, dit-il, que la sagesse, bel Agathon, fût quelque chose qui se pût verser d’un esprit dans un autre, comme l’eau se verse d’un vaisseau plein dans un vaisseau vide ! Ce seroit à moi de m’estimer heureux d’être auprès de vous, dans l’espérance que je pourrois me remplir de l’excellente sagesse dont vous êtes plein ; car pour la mienne, c’est une espèce de sagesse bien obscure et bien douteuse ; ce n’est qu’un songe : la vôtre, au contraire, est une sagesse

  1. Agathon dit à ses valets : « Imaginez-vous que vous nous avez tous priés à souper. » (Note de Racine, dans le Platon de Bâle.)