Page:Racine - Œuvres, t5, éd. Mesnard, 1865.djvu/471

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ce pas une chose étrange que, de tant de poëtes qui ont fait des hymnes et des cantiques en l’honneur de la plupart des Dieux, aucun n’ait fait un vers à la louange de l’Amour, qui est pourtant un si grand dieu ? Il n’y a pas jusqu’aux sophistes qui composent tous les jours de grands discours à la louange d’Hercule et des autres demi-dieux. Passe pour cela. J’ai même vu un livre qui portoit pour titre : l’Éloge du Sel, où le savant auteur exagéroit les merveilleuses qualités du sel, et les grands services qu’il rend à l’homme. En un mot, vous verrez qu’il n’y a presque rien au monde qui n’ait eu son panégyrique. Comment se peut-il donc faire que parmi cette profusion d’éloges on ait oublié l’Amour, et que personne n’ait entrepris de louer un dieu qui mérite tant d’être loué ? Pour moi, continua Éryximaque, j’approuve l’indignation de Phèdre. Il ne tiendra pas à moi que l’Amour n’ait son éloge comme les autres. Il me semble même qu’il siéroit très-bien à une si agréable compagnie de ne se point séparer sans avoir honoré l’Amour. Si cela vous plaît, il ne faut point chercher d’autre sujet de conversation. Chacun prononcera son discours à la louange de l’Amour. On fera le tour à commencer par la droite. Ainsi Phèdre parlera le premier, puisque c’est son rang, et puisque aussi bien il est le premier auteur de la pensée que je vous propose. — Je ne doute pas, dit Socrate, que l’avis d’Éryximaque ne passe ici tout d’une voix. Je sais bien au moins que je ne m’y opposerai pas, moi qui fais profession de ne savoir que l’amour. Je m’assure qu’Agathon ne s’y opposera pas non plus, ni Pausanias, ni encore moins Aristophane, lui qui est tout dévoué à Bacchus et à Vénus. Je puis également répondre du reste de la compagnie, quoique, à dire vrai, la partie ne soit pas égale pour nous autres qui sommes assis les derniers. En tout cas, si ceux qui nous précèdent font bien leur de-