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TRAGEDIE.

Quoy vous n’en faites rien ? C’eſt à vous d’avancer,
Et venant de ſi loin vous devez commencer,
Commencez, Polinice, embraſſez voſtre Frere,
Et monſtrez....

ETEOCLE.

Et monſtrez.... Hé ! Madame, à quoy bon ce myſtere ?
Tous ces embraſſemens ne ſont guere à propos,
Qu’il parle, qu’il s’explique & nous laiſſe en repos.

POLINICE.

Quoy faut-il davantage expliquer mes penſées ?
On les peut découvrir par les choſes paſſées,
La guerre, les combats, tant de ſang répandu,
Tout cela dit aſſez que le Throſne m’eſt dû.

ETEOCLE.

Et ces meſmes combats, & cette meſme guerre,
Ce ſang qui tant de fois a fait rougir la terre,
Tout cela dit aſſez que le Troſne eſt à moy,
Et tant que je reſpire il ne peut eſtre à toy.

POLINICE.

Tu ſçais qu’injuſtement tu remplis cette place.

ETEOCLE.

L’injuſtice me plaiſt pourvû que je t’en chaſſe.

POLINICE.

Si tu n’en veux ſortir tu pourras en tomber.

ETEOCLE.

Si je tombe, avec moy tu pourras ſuccomber.

IOCASTE.

O Dieux ! que je me vois cruellement deceuë !
N’avois-je tant preſſé cette fatale veuë,
Que pour les desunir encor plus que jamais ?
Ah ! mes Fils, eſt-ce là comme on parle de Paix ?
Quittez au nom des Dieux, ces tragiques penſées,
Ne renouvellez point vos diſcordes paſſées,
Vous n’eſtes pas ici dans un champ inhumain.
Eſt-ce moy qui vous met les armes à main ?