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TRAGEDIE.

Mais que tous ſes efforts ont eſté ſuperflus.
C’eſt ce que j’ay compris de mille bruits confus.

ANTIGONE.

Ah ! je n’en doute pas, Hémon eſt magnanime,
Son grand cœur eut toûjours trop d’horreur pour le crime,
Je l’avois conjuré d’empeſcher ce forfait,
Et s’il l’avoit pû faire, Olympe, il l’auroit fait.
Mais helas ! leur fureur ne pouvoit ſe contraindre,
Dans des ruiſſeaux de ſang elle vouloit s’éteindre.
Princes dénaturez vous voilà ſatisfaits,
La mort ſeule entre vous pouvoit mettre la Paix.
Le Troſne pour vous deux avoir trop peu de place,
Il falloit entre vous mettre un plus grand eſpace,
Et que le Ciel vous miſt pour finir vos diſcords,
L’un parmy les vivans, l’autre parmy les morts.
Infortunez tous deux, dignes qu’on vous déplore !
Moins mal-heureux pourtant que je ne ſuis encore,
Puiſque de tous les maux qui ſont tombez ſur vous,
Vous n’en ſentez aucun, & que je les ſens tous.

OLYMPE.

Mais pour vous ce mal-heur eſt un moindre ſupplice,
Que ſi la mort vous euſt enlevé Polinice.
Ce Prince eſtoit l’objet qui faiſoit tous vos ſoins,
Les intereſts du Roy vous touchoient beaucoup moins.

ANTIGONE.

Il eſt vray je l’aimois d’une amitié ſincere,
Je l’aimois beaucoup plus que je n’aimois ſon Frere,
Et ce qui lui donnoit tant de part dans mes vœux,
Il eſtoit vertueux, Olympe, & mal-heureux.
Mais helas ! ce n’eſt plus ce cœur ſi magnanime,
Et c’eſt un criminel qu’a couronné ſon crime,
Son Frere plus que luy commence à me toucher,
Devenant mal-heureux, il m’eſt devenu cher.