Page:Racine - Les Plaideurs, Barbin, 1669.djvu/27

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Vous me voulez parler ſans doute d’Iſabelle.
Je vous l’ai dit cent fois : elle eſt ſage, elle eſt belle ;
Mais vous devez ſonger que Monſieur Chicaneau
De ſon bien en procès conſume le plus beau.
Qui ne plaide-t-il point ? Je crois qu’à l’audience
Il fera, s’il ne meurt, venir toute la France.
Tout auprès de ſon juge, il s’eſt venu loger :
L’un veut plaider toujours, l’autre toujours juger,
Et c’eſt un grand haſard s’il conclut votre affaire,
Sans plaider le curé, le gendre & le notaire.

LÉANDRE

Je le ſais comme toi. Mais malgré tout cela,
Je meurs pour Iſabelle.

L’INTIMÉ

Je meurs pour Iſabelle. Et bien épouſez-la.
Vous n’avez qu’à parler, c’eſt une affaire prête.

LÉANDRE

Hé ! cela ne va pas ſi vite que ta tête.
Son père eſt un ſauvage à qui je ferais peur.
À moins que d’être huiſſier, ſergent ou procureur,
On ne voit point ſa fille ; & la pauvre Iſabelle,
Inviſible & dolente, eſt en priſon chez elle.
Elle voit diſſiper ſa jeuneſſe en regrets,
Mon amour en fumée & ſon bien en procès.
Il la ruinera ſi l’on le laiſſe faire.
Ne connaîtrais-tu pas quelque honnêtre fauſſaire
Qui ſervît ſes amis, en le payant, s’entend,
Quelque ſergent zélé ?