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Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/62

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ANDROMAQUE.

Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé,
Seigneur ? Quelque Troyen vous est-il échappé ?

PYRRHUS.

Leur haine pour Hector n’est pas encore éteinte.
Ils redoutent son fils.

ANDROMAQUE.

Ils redoutent son fils. Digne objet de leur crainte !
Un enfant malheureux, qui ne sait pas encor
Que Pyrrhus est son maître, et qu’il est fils d’Hector.

PYRRHUS.

Tel qu’il est, tous les Grecs demandent qu’il périsse.
Le fils d’Agamemnon vient hâter son supplice.

ANDROMAQUE.

Et vous prononcerez un arrêt si cruel ?
Est-ce mon intérêt[1] qui le rend criminel ?
Hélas ! on ne craint point qu’il venge un jour son père ;
On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère.
H m’auroit tenu lieu d’un père[2] et d’un époux ;
Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups.

PYRRHUS.

Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.
Tous les Grecs m’ont déjà menacé de leurs armes ;
Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux,
Demander votre fils avec mille vaisseaux ;

  1. Mon intérêt : l’intérêt de quelqu’un, c’est la part qu’il prend dans^
    une affaire, le rapport (d’affection, ou autre) qui l’unit à une personne.
    Le mot est d’un usage très fréquent au xviie siècle. Cf. Cid, v. 822.
  2. Eétion, tué par Achille, comme Hector. — Ce vers est un lointain ressouvenir des vers 429-30 du chant VI de l’Iliade : « Hector, tu es pour moi père, mère, frère, tout : tu es mon robuste époux ».