bientôt elle dut rester allongée sur une sorte de canapé, aussi peu confortable que possible, constitué de plusieurs chaises et de coussins. Les sofas étaient rares à cette époque ; il y en avait un cependant à Chawton Cottage. Mrs. Austen avait l’habitude de s’y reposer avant la maladie de Jane, et on ne put jamais décider celle-ci à s’y étendre, même quand sa mère ne s’en servait pas. À une petite nièce qui lui faisait remarquer qu’à ces moments-là elle n’en privait pas Mrs. Austen, elle expliqua que si elle montrait quelque préférence pour le siège favori de sa mère, celle-ci aurait ensuite des scrupules à en user.
Dans le courant de 1816, elle eut quelques périodes de mieux dont elle profita pour terminer son dernier roman Persuasion. On n’y trouve aucune trace de déclin dans ses facultés d’observation et d’humour, et c’est à peine si un ton un peu plus mélancolique, quelques réflexions plus sentimentales ou plus amères, trahissent la tristesse de l’auteur. Au cours de cet effort suprême, Jane eut un jour de poignant désespoir. Elle venait d’écrire le chapitre où aboutit toute l’action du roman, la réconciliation d’Anne Eliot et du capitaine Wentworth ; en le relisant, elle reconnut que le morceau était très faible ; elle eut la sensation que son talent baissait avec ses forces, et c’est avec l’angoisse d’une déchéance intellectuelle imminente qu’elle abandonna son manuscrit et se mit au lit. Ce n’était cependant qu’une de ces impuissances passagères qui ne sont pas inconnues aux cerveaux les mieux organisés. Le lendemain, elle se remit au travail, et du chapitre manqué fit l’un des passages les plus émouvants et les mieux venus de toute son œuvre. Elle termina le manuscrit de Persuasion en août 1816, et cessa alors d’écrire pendant de longs mois. Au début de 1817, elle se sentit mieux, et commença un nouveau roman. Elle s’arrêta après douze chapitres, qui semblaient promettre une œuvre digne des précédentes, et la dernière page porte une date : 17 mars.