Page:Raguey - Le Buste voilé, Roman complet no 19, 1916.djvu/23

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plus que les reflets de la rose épanouie sur une tige dont un ver a déjà mordu la racine. Mon cœur se serra, et j’eus pitié de la pauvre fleur. Je sentis en moi des élans de compassion et de passion ; je fus sur le point de lui crier : Oh ! ne souffre plus, ma belle Pia, je t’aime, je t’aime ! Mais ce que j’appelais ma raison, fit taire tous ces nobles mouvements de mon âme. Et j’avais vingt ans ! Ah ! quels beaux fruits a portés ma raison !

Sur ces entrefaites, un riche Américain du nom de John Palmer, ayant des travaux d’art à faire exécuter dans sa villa qui était aux environs de Montepulciano, vint me trouver et me les proposa, à la condition que je consentirais à m’installer chez lui jusqu’à leur entier achèvement. Comme c’était une bonne affaire au point de vue de mes intérêts artistiques et matériels, j’acceptai. Et puis, dois-je le confesser ? c’était un moyen pour moi de m’éloigner pour assez longtemps de Pia. J’espérais que je cesserais de penser à elle, du moins de manière à en souffrir, et qu’elle-même finirait par oublier, ou du moins qu’elle ne verrait plus que comme une ombre vague, indécise, se perdant dans le lointain, le rêve à peine commencé de notre amour.

Je me demande souvent par quelle loi bizarre de la destinée l’homme se trouve condamné à se mouvoir toujours dans un milieu d’oppositions et de contradictions. Je venais d’accepter une proposition comme un bien, comme une espèce de salut, et aussitôt après le fait accompli, j’aurais voulu qu’il n’eût pas eu lieu. Je devais partir, et l’idée de mon départ me mettait hors de moi. Il me semblait qu’il était de mon devoir d’aller dire adieu à la famille Falghieri, et cependant je