Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ceux qui prétendent que l’idée d’une patrie et d’une nation françaises est née à la chute seulement de l’ancien régime, n’ont jamais lu une ligne de tous ces écrivains, en qui le culte de la France prenait une forme si crûment exclusive et si éloignée de notre humanitarisme contemporain. Le colbertisme, à coup sûr, avait le culte de la patrie : ce serait à l’économie politique libérale de maintenant que l’on pourrait bien davantage reprocher de ne l’avoir ni entretenu, ni conservé, avec ses théories, parfois exagérées, sur les insignifiances ou les impossibilités des émigrations de populations et de capitaux.

Ainsi s’explique d’autre part que Vauban — comme aussi Colbert — demande la liberté du commerce intérieur et la construction des voies de communication. S’il veut l’unification des poids et mesures et la suppression des frontières provinciales, c’est parce que « la vraie politique conspire toujours à conserver une certaine uniformité entre les sujets, qui les attache plus fortement au prince ». Mais il n’a pas un mot contre les douanes extérieures, car il ne rêve pas d’un monde qui aurait des royaumes pour provinces[1]. Il veut le canal du Languedoc : mais il « ne tient pas que l’usage doive en être permis aux étrangers, pour quelque cause et occasion que ce soit ». Faut-il enfin mentionner son projet de réduire l’Angleterre à merci par la guerre de course, comme Napoléon plus tard par le blocus continental[2] ?

Boisguilbert, lieutenant général civil au bailliage de

  1. « Je serais d’avis de n’imposer que très peu le commerce et seulement pour favoriser celui qui nous est utile et exclure l’inutile qui ne cause que de la perte. Le premier est désirable en tout et partout, dedans et dehors le royaume, et l’autre est ruineux et dommageable partout où il s’exerce. Il faut donc exciter l’un par la protection qu’on lui donnera, l’accroître et l’augmenter, et interdire l’autre autant que la bonne correspondance avec les voisins le pourra permettre » (Dîme royale, IIe fonds, éd. Daire, p. 81).
  2. Mémoire concernant caprerie, la course et les privilèges dont elle a besoin pour se pouvoir établir, les moyens de la faire avec succès sans hasarder d’affaires générales et sans qu’il en puisse coûter que très peu de chose à Sa Majesté (30 novembre 1695).