Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/21

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Platon intéresse bien davantage l’économiste par ses deux dialogues de la République et des Lois. Nous aurons à les étudier plus tard, à propos des lointaines origines du socialisme. À part cela, ses idées économiques se bornent au goût de l’immutabilité, à l’aversion pour le luxe et le progrès, à la théorie de l’utilité réciproque considérée comme base de la société[1], enfin à une sorte de premier essai de la classification des métiers et à quelques passages très sensés sur la distinction des professions[2]. En cela toutefois, rien ne fait encore pressentir la théorie bien autrement fameuse et féconde de la division du travail considérée comme un moyen d’en accroître la productivité. Platon a méconnu, d’autre part, quelques-unes des règles les plus élémentaires de la morale naturelle ; il a porté aussi l’omnipotence de l’État jusqu’à ses dernières limites, de manière à ce que ce despotisme dût forcément tarir la production et conduire la société à une misère inévitable.

Aristote, malgré les erreurs dont il n’a pu se dégager, a

    employons, ce sont ces méchantes pièces de bronze frappées hier et avant-hier avec les mauvais coins. De même, parmi les citoyens, nous accablons d’injures ceux que nous savons nobles et sages, justes et vertueux, formés dans les gymnases, les chœurs et la musique : mais nous mettons, au contraire, à toutes fonctions des hommes de bronze pour ainsi dire, étrangers, oiseaux de passage, méchants fils de pères aussi méchants, derniers venus qu’auparavant la République n’aurait pas même facilement acceptés comme victimes expiatoires » (Grenouilles, vv. 716-732). — Il y a deux mille trois cents ans que ces choses là ont été écrites à Athènes ! Mais elles n’ont rien perdu de leur opportunité en France, surtout après les lois des 1er juillet 1901 et 7 juillet 1904.

  1. « Ce qui donne naissance à la société, fait dire Platon à Socrate dans son dialogue de la République, n’est-ce pas l’impuissance où chaque homme se trouve de se suffire à soi-même et le besoin qu’il éprouve de beaucoup de choses ? Est-il une autre cause de ses origines ? — Point d’autre. — Ainsi, le besoin d’une chose ayant engagé l’homme à se joindre à un autre homme et à un autre homme encore, la multiplicité de ces besoins a réuni dans une habitation plusieurs hommes avec l’intention de s’entr’aider, et nous avons donné à cette société le nom d’État » (République, 1. II).
  2. « Mais quoi, poursuit Socrate, faut-il que chacun fasse pour tous les autres le métier qui lui est propre ? que le laboureur, par exemple, prépare à manger pour quatre et qu’il y mette par conséquent quatre fois plus de temps et de peine ? Ou ne serait-il pas mieux que, sans s’embarrasser des