Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Turgot, sans doute, ne contestait pas que le salaire ouvrier soit limité par la concurrence, mais il tenait surtout à établir que c’est par la nature que le gain du laboureur est fourni autant que limité.

Les Réflexions ne furent publiées qu’en 1769 et 1770, dans les Éphémérides du citoyen, par Dupont, qui y fit des modifications importantes et nombreuses. Turgot se fâcha et demanda par sa lettre du 2 février 1770 que le texte primitif fût rétabli, ce qu’il ne put obtenir qu’en partie[1].

La question du prêt à intérêt et l’abrogation des lois qui le prohibaient, étaient parmi les plus graves questions de ce temps là : Turgot y revint, à propos d’un procès, dans son Mémoire sur les prêts d’argent, composé en 1769 ; Il explique la prohibition de la manière suivante. C’était l’aversion dû peuple contre les usuriers qui, surtout en présence de voies d’exécution beaucoup trop rigoureuses autrefois, avait inspiré le sentiment catholique ; puis le sentiment catholique avait suscité à son tour l’argumentation des scolastiques ; enfin les théologiens étaient parvenus à imposer la prohibition aux jurisconsultes[2].

On sépare ordinairement — et nous l’avons fait nous-même — Turgot du groupe de Quesnay et de ses disciples proprement dits. La distinction est-elle donc exacte et sur quoi se base-t-elle[3] ?

  1. Cette restitution n’eut alors lieu que d’une manière incomplète, au moyen de cartons. C’est seulement de nos jours que le texte original a été complètement rétabli, grâce aux travaux de M. Schelle. — La lettre de Turgot manque dans l’édition de ses œuvres. Elle est donnée par Hector Denis, Histoire des systèmes économiques et socialistes, t. I, p. 131. — La Petite Bibliothèque économique française et étrangère donne à la fois dans son Turgot le texte original et le texte modifié par Dupont.
  2. Op. cit., § 29. — Turgot y expose et y discute l’argumentation de Pothier : celui-ci copiait à peu près l’argument que saint Thomas avait tiré de l’impossibilité où l’on est d’exercer à l’égard des choses fongibles un jus utendi qui soit distinct du jus abutendi (Op. cit., §§26-27, pp. 122 et s. du t. I des Œuvres, édition Guillaumin). — Voyez plus haut, p. 61.
  3. Cette question nous semble insuffisamment traitée par Daire (Notice historique sur Turgot : voyez Œuvres de Turgot, t. I, p. XIV en note, avec