Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/241

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crum cessans[1], Turgot, au contraire, entendait ne procéder que de la liberté et du droit de propriété, identique sur l’argent, sur les terres et sur n’importe quel objet. Parce que je suis propriétaire de mon argent, je puis le vendre contre des marchandises : c’est aussi parce que j’en suis propriétaire que je peux le louer en quelque sorte par le contrat de prêt.. Dans un cas comme dans l’autre, dans le louage comme dans la vente, les conditions, c’est-à-dire le prix, seront, le résultat de la loi de l’offre et de la demande[2].

Ce sens de la liberté ramène donc bien plus puissamment Turgot vers le libre-échange. Il professe bien encore qu’il n’y a « point de nations qui soient commerçantes et industrieuses par opposition à l’agriculture[3] » ; il reste convaincu que, hors le cas d’un défaut d’aptitude du sol, les pays suffisent, à se nourrir, si, d’autre part, « une fausse police et le défaut de liberté n’ont pas resserré la culture[4] » ; mais cela dit, il prétend bien faire abstraction des frontières en matière de commerce. « Quiconque, écrit-il en 1770, à Julie de Lespinasse, n’oublie pas qu’il y a des États politiques séparés les uns des autres et constitués diversement, ne traitera jamais bien aucune question d’économie politique[5] ». Sur le terrain pratique, il est hostile aux droits de sortie, parce que les étrangers achèteront moins ou

  1. Supra, p. 66.
  2. Réflexions sur la formation et la distribution des richesses, §§ 73-75.
  3. Observations sur un mémoire de M. Graslin (Œuvres, t. I, p. 440).
  4. Observations générales à la suite de l’état des récoltes de 1770 (Œuvres, t. I, p. 600).
  5. Correspondance, Lettres, VIII (éd. Guillaumin, t. II, p. 800). — « L’utilité de la liberté indéfinie du commerce, dit-il encore dans ses Observations sur le mémoire de M. Graslin, est établie sur tant de motifs incontestables, que la certitude n’en dépend nullement du système qu’on embrasse sur la nature des richesses et du revenu… Le raisonnement de ceux qui, pour faire peur de la liberté, supposent que les étrangers achèteront toutes nos matières premières, s’empareront de toute notre industrie et feront tout notre commerce, est du même genre que celui des gens qui ont peur que la liberté de vendre notre grain aux étrangers ne nous fasse mourir de faim » (Œuvres, t. 1, p. 435).